# LVME # 05 | Vue extérieure d’un profil

On était assis tous les trois sur le bord de mon lit, chacun de nous avait une liasse de photos dans les mains. Mon grand frère Jean-Marie les avait laissés sous son lit. Il avait photographié, l’immeuble en construction, il avait commencé avant que la famille ne sache qu’elle habiterait ici un jour, c’était comme une prémonition. Il y avait même une photo du terrain vague, avant que la moindre pelletée de terre ne soit creusée. Sur cette photo, un simple grillage longeait la voie ferrée. Je regardais ce cliché quand Momo a dit : vous avez vu la Meuf ? Cette phrase lancée dans ma chambre, a eu un effet immédiat assez prévisible, j’ai posé mes photos, Bruno aussi, et nous nous sommes retrouvé tous les trois à vingt centimètres de la photo que tenait dans ses mains Momo, je crois que j’ai dit les mêmes mots que Bruno à la même seconde : où ça ? Je ne voyais rien sur ce cliché, c’était une photo ratée, l’ensemble du cliché était presque noir, un quart de la photo était un plus clair, on y devinait une façade d’immeuble en brique. J’ai pris la photo des mains de Momo, Bruno, et Momo on produit un « Ho » de protestation, mais on était chez moi, alors ils n’ont rien ajouté. Je regardais la partie noire de la photo à la recherche d’un visage, je ne voyais rien, la surface était presque uniforme, j’ai demandé à Momo, elle est où, il m’a montré la zone noire, il a ajouté là en me montrant le contour de la zone noire, et à ce moment que j’ai compris que ce cliché pris à contre-jour nous montrait une jeune femme nue de profil, la forme noire suivait les lignes des haut de son corps, cette forme était coupée par les bords de la photo. Bruno qui regardait au-dessus de mon épaule a juste dit : c’est qui ? Sur la façade de l’immeuble que j’apercevais, il y avait un détail qui m’intriguait, mais je ne savais pas lequel, j’ai commencé à regarder chaque centimètre carré, il y avait des drapeaux accrochés à quelques garde-corps, des drapeaux brésiliens, deux drapeaux polonais, au même étage un fanion peut-être : « Allemand », j’avais dit le mot à haute voix. Je savais maintenant quelle était la façade que je voyais sur ce cliché ; c’était le quatre, le hall d’immeuble à côté du mien, les Muller avaient accroché un fanion en juillet pour soutenir l’équipe de la RFA qui était arrivée en finale de la coupe du monde. Cela voulait dire aussi que la photo avait été prise au hall deux, peut-être au deuxième ou au troisième étage. J’essayais de me souvenir, est-ce que mon frère connaissait une fille dans cet immeuble, est-ce qu’il m’en avait parlé ?

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

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