Élever le sol jusqu’au regard et lui donner priorité dans la poésie qui l’anime, elle, assise sur le banc. Une herbe mouillée, piétinée, reniflée par les chiens, une herbe gage de la présence d’une certaine nature en ville, une herbe vite cernée de pouzzolane rouge qui conduit jusqu’à l’anthracite de l’asphalte, du bitume, du goudron de la rue circulaire autour de la fontaine. L’herbe, est verte, ouverte, à toutes les rêveries. Et puis les murs, architecture massive, uniformité en béton qui apparait et disparait selon les saisons ajoutant une once de morosité si nécessaire, les murs sont beige, le beige du sable, si chaleureux en bordure d’une mer bleue et si fade dans la grisaille d’une ville sous la pluie.
Entrer par l’un des quatre accès qui mènent derrière ces façades. Accès transparents et cadenassés par un code, qui donnent sur des espaces bien éclairés au sol dallé brillant de propreté et aux murs clairs sur lesquels se détachent des rangées de boités à lettres grises toutes similaires. Celles des habitants.
Entrer par les portes en verre qui glissent sur le côté quand on s’approche, s’essuyer les pieds sur un tapis brosse encastré dans les dalles de marbre blanc veiné de gris et faire légèrement crisser les chaussures en avançant. Le hall d’entrée est clair, est vaste. Les murs sont truffés de portes grenat, numérotées, entre lesquelles sont affichées des informations. C’est le début du labyrinthe administratif.
« architecture massive, uniformité en béton qui apparait et disparait selon les saisons ajoutant une once de morosité si nécessaire… »
« espaces bien éclairés au sol dallé brillant de propreté et aux murs clairs sur lesquels se détachent des rangées de boites à lettres grises toutes similaires. Celles des habitants. »
Le décor est bien planté dans cette urbanité en papier glacé. Il n’y a guère que l’herbe humide et résiliente dehors avec le flair canin prospectif qui signalent l’interdiction du jour, celle de souiller les venelles du labyrinthe… »L’administration », ça doit rester « clean », neutre, inspirer confiance, il ne manque plus que les déchiqueteuses de documents et les poubelles immatriculées pour abolir la mémoire du passage humain. Les archives numériques virtuelles sont data- dégradable. Un court-circuit, un bug généralisé suffisent. J’ai eu envie de demander à ELLE, à ce personnage si patiente et non décrite, de bien rester sur son banc, et même de caresser le chien pour qu’il la rencontre un peu avant de se laisser engouffrer dans l’antre des anonymes nickel compostables. Merci d’avoir étayé mes propres réticences face à cette urbanité clonée et sans âme qui survive.