#LVME #04 | pêle-mêle murs sols, une ode

Hall du rez-de-chaussée, paliers, escaliers et murs à l’arrière : refaits. Au sol, revêtement gris doux, presque moelleux, tout neuf. A la verticale, carreaux de céramique blanche en guise de cariatides abstraites près de l’ascenseur, avant les murs blancs, un peu granuleux. Du propre pour les yeux des locataires qui en ont vu d’autres

Mur de pluie, sol saturé

Dressés, les murs d’entrée dans l’appartement. Habillés de moquette murale rouge sombre. Tapis beige chiné annulant le linoléum basique. Quelque chose d’oriental dans l’entrée en matière

A l’entrée du bâtiment, près du cercle où poser le badge du déverrouillage, un petit bout de mur grignoté. Comme l’expression d’une curiosité archéologique verticale : quelqu’un a gratté un peu du dessus qui se délitait — une sorte de toile résistante, imperméable. La preuve que non : dessous apparaissent les petits carreaux roux des années 70

Vieux papiers décollés. Murs blanchis, après avoir été enduits. Passé lessivé. Tapis pour amortir les bruits, les coups. Page de l’histoire ancienne tournée, déménagement sur place

Du bleu clair sur les murs qui accompagnent les points d’eau. Un autre bleu un peu turquoise pour compléter. Sol de dalles lino gris clair standard

Au lointain, en vis-à-vis — en vies à vies — façades constellés de fenêtres, murs d’un autre quartier. Le sol qui relie les deux séries est celui d’un stade recouvert par la pelouse où se pose régulièrement une troupe de grandes bernaches mangeuses d’herbe

Papier- tissu jaune d’or collé sur les quatre murs. Fibres verticales. Ecrin pour le lit. Les murs prennent la lumière du matin. Les mornes fleurs noires et marron qui couraient il y a quarante ans sur le papier des murs — projection de vies tristement conditionnées — ont été arrachées, mises en boules, en sacs, confiées aux bennes, larguées, oubliées. Au sol, des tapis cachent la misère

Murs et sols des bâtiments ont tremblé quand, à cinq cents mètres de là, dans la commune limitrophe, une sorte de marteau-piqueur thermique géant a détruit les fondations coûteuses d’un gymnase olympique, au motif que non conformes au projet initial. Gâchis et bruit fou

Murs couverts d’un papier bleu pétrole, bleu reflet colvert, bleu gris de Payne dans la chambre du fond. Bleu de la rêverie pour la nuit, avec aquarelles, phrases épinglées, changées selon les jours

Affiches sur les murs des toilettes : concerts, dates, titres. Et en noir et blanc, l’affiche du cirque Romanès place de Clichy. Sol froid comme plastifié

Murs porteurs de rappels : épis, abécédaire au point de croix, porte -torchons, tableau poisson mosaïque au-dessus du radiateur, pieds des chaises faciles à déplacer sur le sol aux dalles de lino clair, ravivées par le passage de la loque

Mis à nu et assainis, les murs ; décapés les sols d’un autre appartement après la mort de l’avant-dernière occupante dont le cercueil a été sorti par la fenêtre

Etagères et armoires alignées cachent tout le mur gauche du couloir. Livres, cahiers, courriers, objets d’un premier tri, questions relatives à ce qu’il faut provisoirement garder, linge de maison et vêtements se côtoient le long de cette allée intérieure. Sur le mur d’en face : mélange de dessins d’enfants encadrés, de gravures et de reproductions, avec tout au bout quelques papillons sous verre venus de l’atelier

Mur mêlant haie et grillage le long de la cour de l’école voisine pour que les uns ou les autres, ceux de l’extérieur, ne puissent plus appeler les enfants pendant les récréations. En face, au bord du quartier, les arbres protestent contre l’asphalte du trottoir en le soulevant depuis longtemps avec leurs racines. Les passants risquent de tomber. Les arbres seront vraisemblablement abattus

Derrière la cage aux encombrants, incendiée le jour de l’émeute : un mur latéral extérieur. Resté longtemps noirci, sur une hauteur d’une quinzaine de mètres. Les habitants en façade ont protesté et des échafaudages ont finalement été montés. Deux ouvriers sont venus pendant plusieurs semaines nettoyer, enduire, repeindre, effacer. Sur le sol chargé, de grands pots de peinture vides ont complété le dépôt éclectique au pied du mur

Métamorphose du soir accueillie par le mur d’une salle à manger : lumière dorée sur les rayonnages, épiphanie parmi les livres, face aux fenêtres. Une ombre tremble doucement à même le sol. Le mystère émerveille avant de s’éteindre. Soleil mouché par les bâtiments du lointain

De l’autre côté de la rue relayant la contre-allée, le mur d’une entreprise florissante est couronné de barbelés. Voitures garées tant bien que mal à la limite d’un semblant de trottoir, là où théoriquement pas de place

Fresque aux motifs sportifs un peu décolorés sur les murs qui encadrent la zone dotée d’un matériel de musculation. Zone : toit du parking couvert au recto, et provisoirement inutilisable. Le toit est au verso sol de béton avec d’un côté une pelouse synthétique et de l’autre les tracés du terrain de basket

Un mot sur le mur qui fait l’angle et rejoint la terre : crapaud

Passage muré : avant, c’était un raccourci, le long du cimetière, pour les collégiens venant du quartier. Mais le soir : trafic. Depuis : parpaings collés au sol. Infranchissables. Il faut faire le grand tour et partir plus tôt pour être à l’heure au collège

Qui a fait le mur l’autre fois ? Celle qui est retombée sur ses pieds. Ils ont à peine touché le sol, avant la fugue

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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