– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Au jardin c’est la pause. Binette et serfouette sont posées contre le muret, dans la brouette, une cagette avec des radis, trois belles salades bien vertes et quelques feuilles de roquette pour corser un peu le goût de ces verdures. Des pissenlits aussi, quelques rejetons tout jeunes qui ne seront pas trop amers. Les nouveaux plants de courgette sont en terre, pieds humides et généreusement paillés des mauvaises herbes de la parcelle d’à côté. Toutes les aérations de la serre sont ouvertes, il est assis sur le muret et termine son café en regardant la mer.
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Le métal frotte contre la pierre en faisant un bruit d’eau. Du bout du doigt elle vérifie le tranchant, inspecte le brillant, essuie l’eau qui coule le long de son poignet et repose le ciseau affuté à côté des trois fers de rabots. Un vieux chiffon pour se sécher les mains, et maintenant, remonter et régler au plus fin la lumière des rabots. Le long morceau de bois courbe posé sur les tréteaux est déjà dégrossi, elle va commencer les finitions et fignoler les découpes des assemblages pour les deux autres pièces plus petites qui attendent sur l’établi
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. La vaisselle sale du petit déjeuner est empilée dans l’évier, bols, assiettes, couverts, il s’en occupera plus tard. Nettoyer la table, donner les miettes aux oiseaux, se reculer un peu et les voir arriver, mésanges et rouges-gorges parmi les plus hardis, chasser les goélands, gros poulets arrivistes, ceux-là, il les aime pas. Ensuite, changer le filtre pour l’eau de la citerne qui est utilisée pour faire la vaisselle et la cuisine. Nourrir le levain et il pourra aller fumer tranquille et jouer de la guitare, revenir sur cet accord trop dur qui lui retourne les doigts.
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Il fait beau, basculer les batteries sur le panneau solaire et remettre à charger le téléphone et l’appareil photo. Vider la carte mémoire et faire un premier tri dans les images de ce matin et d’hier
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Elle marmonne, elle grommelle, le balai à la main. C’est le boulot du soir de mettre un coup de balai pour que le matin suivant on puisse tout de suite se remettre au travail sans glisser dans les copeaux, sans devoir faire le ménage pour retrouver l’épure des trois dernières membrures tracées hier sur le parquet.
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Il a raté le petit déjeuner mais il s’en fiche, et lundi ou pas, il s’offre encore un peu de sommeil après avoir discuté une bonne partie de la nuit sur internet avec son presque frère parti de l’autre côté de l’Atlantique dans un chantier naval qui restaure et construit des skipjack de la Chesapeake. Il est le seul à dormir sur le chantier du futur dortoir alors il en profite, se retourne du côté du mur, remonte le duvet sous son cou et il referme les yeux
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Elle joue avec son crayon en écoutant la voix dans ses écouteurs, fait des petits dessins entre oiseau et bateau dans les marges de la liste des points qu’elle a prévu de discuter. Concentrée, elle écoute ce que lui propose celui qui est de l’autre côté de la conversation téléphonique. Sur la liste, plusieurs lignes, dix mètres cubes de bois, chargement le neuf juillet deux mille vingt-cinq, les horaires de marée, et si on pouvait s’arranger comme la dernière fois avec son frère pour déposer, temporairement, pas d’inquiétude, le bois sur le terrain qu’il a en bordure du chenal ?
– C’est le vingt-trois juin deux mille vingt-cinq et il est presque huit heures du matin. Grands éclats de rire et cavalcades au milieu des tentes et dans les feuillées qui servent à se débarbouiller à l’abri des regards. Ici l’eau n’arrive pas, elle ne suit des tuyaux que pour finir sa course dans la microstation d’épuration et ses roseaux un peu plus bas derrière les arbres. Chacun vient là avec son seau, sa brosse à dents et sa serviette sur l’épaule. Et puis parfois, quand il fait beau comme aujourd’hui, des éclaboussures volent au milieu de grands cris entre les cloisons de bois et les miroirs vissés au-dessus des tablettes avec leurs coins rongés par l’air de la mer.