Cinquième gauche/ C’est par une porte vitrée, généralement ouverte, que l’on entre dans la cuisine. Elle vient buter sur le réfrigérateur coincé juste derrière. Face à la porte une fenêtre à deux battants, avec le traditionnel radiateur encastré dessous. Sur la gauche les éléments en hauteur, en formica gris clair, bien alignés, proposant six portes et hauts de trois rayonnages. Une cuisinière à gaz, une machine à laver et un évier à deux bacs. Pas de plan de travail ni de lave-vaisselle encore inconnu à cette époque. Contre l’autre mur une table du même formica, avec trois chaises de couleur crème légèrement rembourrées. La peinture est d’un bleu vieilli, mal vieilli. Sur une hauteur d’un mètre environ un revêtement en venilia tente une imitation de carreaux de faïence avec des fleurs dessinées çà et là. Tout au fond de la cuisine, sur la gauche, une porte qui tient fermé un réduit, (on disait séchoir et on dirait cellier aujourd’hui) où pouvoir faire sécher le linge ou entreposer des provisions. Ce réduit possède également un vide-ordures métallique, dont le bruit, lorsqu’on le referme, s’entend par tous les occupants de la cage d’escalier. Le petit néon au-dessus de l’évier diffuse une lumière douce, alors que la circline au plafond éblouit et fatigue les yeux. Un baromètre juste à l’entrée à gauche tapoté sans doute des milliers de fois, n’a jamais vraiment rempli son rôle. L’espace est rangé, propre, mais lorsque le regard s’insinue entre les carreaux au sol, on sent que tout cela a déjà bien vécu et qu’un rafraîchissement serait nécessaire.
Neuvième gauche/ C’est par le carrelage que l’on voit la cuisine. Tout est carrelé avec la qualité italienne. Les différents éléments ou mobilier qui sont installés ne le sont que pour mettre en valeur la richesse et la beauté des carreaux. La cuisine est brillante, pas un seul grain de poussière ou tache de graisse, pas une araignée au plafond, pas une trace sur les vitres, et il se dit ( c’est une information fiable puisque c’est l’ouvrier qui repeignait les façades qui l’a dit car il n’avait encore jamais vu cela notamment en un neuvième étage) que même les extérieurs des volets métalliques sont nettoyés avec application. On se demande quelles personnes peuvent bien vivre ici, si elles cuisinent parfois, si elles osent respirer, se déplacer dans l’appartement, ouvrir les fenêtres bien calfeutrées de rideaux blancs afin que même un regard intrusif ne vienne déposer quelque ferment de souillure.
Quatrième droite/ De bric et de broc est aménagée cette cuisine. On sent que les murs ont déjà bien subit les assauts répétés d’objets ayant fait des vols planés, des jouets peut-être, comme ceux gisant sur le sol, carrelé de rectangles jaunes et rouges disposés en quinconce , et qu’il faut éviter si l’on veut rejoindre l’autre bout de la pièce. Un buffet d’autrefois en bois, recouvert de motifs fleuris en torsades, est encastré dans le recoin près de la fenêtre. Entre le haut et le bas de ce meuble un espace où poser une corbeille de fruits, un vase, mais ici il est encombré de boîtes de médicaments empilées les unes sur les autres, de papiers entassés et de quelques sachets de bonbons éventrés. Dans l’évier, des assiettes et des verres prêts à être lavés. Le couvercle de la cuisinière abattu ne laisse rien deviner de ce qui a pu se cuisiner. Sur un des murs un cadre pêle-mêle où se côtoient des photos d’enfants, des cartes postales avec des vues d’une ville d’ailleurs, et un calendrier annuel avec la photo d’un camion de pompiers. Tout montre une vie en ébullition où palpite le temps qui passe à vive allure sur l’horloge qui trône sur la cloison qui longe la porte.