C’est une réplique à échelle un ; la reproduction exacte de celle du 183 bis , du grand appartement du sixième étage avec vue sur le métro aérien. La cuisine du bout du couloir, ce si long couloir, trop étroit pour s’y tenir bras en croix – sinon de profil-, assez long pour y jouer des parties de billes ou apprivoiser les patins à roulettes. La table roulante acajou horriblement sonore qui s’y glissait les jours de fêtes quand déjeuners ou dîners se tenaient au salon. Cet interminable couloir des appartements bourgeois : pour éloigner la chose domestique des pièces principales, ses odeurs, ses bavardages d’office: papotages de ménagère et le ronronnement du poste de radio qui accompagne. La cuisine du bout du long couloir assez grande pour qu’on y étende une partie du linge tirée de la machine, qu’on y repasse et qu’on y couse ; et surtout qu’on y mange en famille de quatre ou cinq , quand on n’a pas de bonne ( dire employée de maison).
Quatre mètres dix sur cinq mètres trente, côtes approximatives et vraisemblables – sans doute revues à la hausse, et le plafond amovible pour un plan en plongée? Cette cuisine reconstituée en studio avec un soin méticuleux; avec le couloir et la chambre attenante, car une petite pièce précédait la cuisine, à droite avant d’en franchir le seuil, cellule juste assez grande pour y loger un lit à une place : chambre d’appoint, ou de bonne ( dire employée de maison)mais on a pas de bonne; ou bureau, voire garde-manger.
Dans l’axe du couloir, au fond de la cuisine, la porte bardée de verrous qui donne sur l’escalier de service par où descendait les ordures; six étages jusqu’au local des poubelles (les ordures ne prennent pas l’ascenseur)
C’est une réplique, un décor, et tout a été pensé et remis à sa place, tout retrouvé ou refait à l’identique, tout grandeur nature, même la patine, même la poussière : jusqu’au tourne broche mural à gaz fixé au mur – assez haut pour que les enfants n’aillent pas si brûler (les ailes)–, à gauche au dessus de la cuisinière, l’Arthur Martin, comme le réfrigérateur grand format d’inspiration américaine; un tourne broche de marque allemande un modèle 1969 introuvable – qui aura fait passer des nuits blanches à l’ensemblier –, au point qu’on devrait en inventer une copie: l’artefact non fonctionnel de l’artefact si fonctionnel qui avait cuit poulets à la broche, entrecôtes sur grill – ce tourne broche magistralement réinterprété par le serrurier des studios, virtuose de l’acier, qui avait pour les besoin d’un autre film, recomposé la fontaine de Buri qu’on voit à St Paul de Vence.
Un décor, une réplique de l’appartement disparu, cette cuisine reconstruite de mémoire, à l’aide de quelques photographies retrouvées.
Retrouver. Reproduire. Refaire. Toucher même pour de faux. Faire comme si ( Névrose sublimée par l’art?)
Les meubles orange et blanc, les chaises acier et formica de même couleur, la table à rabattants ovale: ses nappes à grosses fleurs stylisées avec de l’orange et du jaune. Le bloc évier en émail à deux bacs, pas d’inox, pas encore, ni de machine à laver la vaisselle; le placard à trois portes avec, poubelle d’un côté, produits d’entretien de l’autre. Les manettes crochetées par… Les aimants abécédaires en capitales de la porte du grand réfrigérateur ; les figurines plastiques saupoudrée de lessives en rebord de fenêtre ; l’éphéméride au 12 mai 1974. Un cake refroidit, il embue la fenêtre: douce odeur de sucre et de beurre… et le ciel de ce jour-là en découverte peinte.
Toute une vie supposée revue en film: les faux parents autour de la table; les faux enfants; les fausses flammes pour anéantir : comme en vrai pour de faux la douleur
6 commentaires à propos de “#LVME #03 | une réplique à échelle un”
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« Reproduire. Refaire. Retrouver. Toucher même pour de faux. Faire comme si. Névrose sublimée par l’art? »
Merci Nathalie pour ces mises à distance.
oui c’est cette distance propre à ne pas (trop) se retrouver ou s’envoyer dans le décor…
Même prélèvement qu’ Ugo dans ce texte « Retrouver. Reproduire. Refaire. Toucher même pour de faux. Faire comme si ( Névrose sublimée par l’art?) « . La littérature comme une reconstitution dans une maison de poupée à l’échelle soi ressemblante. Décor avec personnages non identifiés, fictionnels ou du moins plausibles .C’est le couloir qui m’intrigue le plus, comme une venelle qui cherche à remonter quelque part à partir de ce que je vois comme une maquette. On pourrait y jouer à « comme si » on vivait là en famille, et imaginer comment on s’y plairait ou pas. Quand on entre dans la maison de quelqu’un.e.s, on ne sait jamais trop où on met les pieds… et dans un 186 mètres carré même rétréci en studio pour l’exercice, on a de quoi se perdre de vue dans le temps. On voit souvent ce procédé cinématographique où l’on voit circuler des personnages à toute vitesse, apparaître et disparaître, donnant l’impression de poursuivre des fantômes tandis que les espaces et les meubles restent ( pour un temps seulement s’empoussiérant et moisissant ) et le ménage approximatif reste dans son instantané. L’impression désagréable qu’on a d’entrer dans un logis vidé de ses protagonistes vivants et actifs.
Merci beaucoup de vos Ugo, Piero, Marie-Thérèse ( distance et couloir, retour sas le vouloir ) L’impression de quitter l’espace de la proposition 1 ( voguons)
Quelle précision ! Le plus beau dans ce décor, tel que tu l’exposes, c’est que même l’invisible pour la caméra semble présent. J’ai pensé au film de Claude Sautet « Un Mauvais fils », ce genre de cinéma. Très beau texte, Nathalie.
Merci Xavier (je ne sais pas si j’ai vu ce Sautet là mais c’est l’époque! )