#02 la fibre et les ramoneurs

Il arrive qu’à la fenêtre, on aperçoive en équilibre précaire, sur un escabeau ou le rebord d’une balustrade, le dos d’un technicien en pantalon de chantier et pull à capuche, tout absorbé dans les circuits de l’armoire à fibres optiques. Il parle à une autre voix dont on entend un lointain écho mélangé à des fritures qui émanent de ses oreillettes. Si on l’interroge sur son ouvrage, il répond pour la fibre. C’est un jeune homme formé en stage accéléré, envoyé sur le terrain à la fin de sa semaine de formation. Missionné par un opérateur proposant des offres d’abonnement à des prix alléchants, il est le dernier maillon de la chaîne à qui il revient d’installer la fibre optique, l’accès à haut débit, besoin aussi vitale que l’eau et le gaz à tous les étages. A lui de se débrouiller dans cet enchevêtrement de fils lumineux, à lui d’installer, réparer, tailler sa place avec les bobines concurrentes. Accumulation de boîtiers, de fils emmêlés, découvrant leurs entrailles phosphorescents aux touts venants, comme des moules sur un bouchot. L’installeur disparaît comme il est apparu. Payé aux boîtiers, à la condition d’avoir souscrit un compte d’auto-entrepreneur, il sera en rouge, s’il n’en installe pas moins de cinq dans la journée.

Malgré l’affichette collée dans l’allée annonçant leur venue , on a complètement oublié qu’ils passeraient le 3 décembre entre 7h30 et 11h. Sonnerie insistante de très bonne heure. Les ramoneurs. Toujours par deux, le vieux, l’apprenti. Le vieux connaît le chemin et s’enfile sans hésitation dans l’appartement vers la salle de bain où il trouvera la chaudière à ramoner. Le jeune suit tenant l’escabeau, un hérisson et un aspirateur lové sur son cou. C’est lui qui grimpe pour farfouiller dans les tuyaux qu’il branlotte rapidement pendant qu’on enfile vite un vêtement. Quand on approche pour en savoir plus, les voilà déjà retournés en sens inverse pour le départ. Si l’on s’étonne de ce passage éclair, le vieux plutôt bougon, marmonne des mots difficilement audibles desquels il ressort qu’ils s’occupent de l’immeuble pas de l’entretien des chaudières, individuel. Mais déjà, le tuyau de l’aspirateur ferme le pas laissant la porte béante. Ils disparaissent dans la coursive comme deux chats qu’on aurait importunés. Reste un sillage de tabac brun. Coup de sonnette intempestif sur le pallier voisin. Une nouvelle reprise qui brise le silence. Le sommeil de plomb des quatre étudiants noctambules prendra le dessus.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.

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