#LVME #03 | cuisine de la honte

Brigitte Le François avait honte de sa cuisine qui ne comportait ni ilot central, ni bar (avec ses tabourets), pas plus de verrière ouvrant sur le salon. Les couleurs n’étaient plus au goût du jour, le plan de travail en bois clair n’avait rien de noble, l’équipement même laissait à désirer avec ses deux réfrigérateurs de récupération (le plus vieux, le petit avait au moins 50 ans et supportait un four à micro-ondes d’époque). L’unique bac de lavage était surmonté d’une robinetterie récente très simple. Elle l’avait changée pour cause de fuite, mais n’avait choisi ni le modificateur de pression ni la douchette extractible, toutes choses dont elle ne voyait pas bien l’usage et dont le prix l’avait fait sursauter. Même la petite folie qu’elle s’était autorisée à son installation, des carreaux peints à la main, datait furieusement. L’agent immobilier lui trouva toutefois un charme campagnard qui pouvait plaire dans ce type de bien (sic) tout en proposant des améliorations faciles à réaliser, mais qu’il était inutile d’entreprendre avant la vente. Les cuisines comme les salles de bain sont des pièces fortes où les gens aiment exprimer leur personnalité, précisa-t-il. Brigitte Le François se réjouit qu’il ne s’attardât pas sur le carrelage de dimensions ridiculement petites pour les goûts actuels. Hors du 90×90 aujourd’hui, on change tout lui avait asséné un apprenti carreleur qui avait refait un bout de terrasse. Brigitte Le François était mortifiée d’avoir honte de sa cuisine; c’était pourtant bien le sentiment qui persista longtemps après le départ du visiteur.