Roman maison #01 / L’impasse, 10 décembre 1972, 15h

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… Le charcutier sort de son atelier qui longe l’impasse et le grand fossé, il hume les fumées qui en sortent. De l’autre côté du portail de sa maison d’angle il butte sur la collection des petits autos de son fils, l’un des Philippe. Il est prêt à sacrer mais se ravise. Il hume encore la fumée de ses préparations charcutières et sourit.

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… Autour du grand palmier tourne en rond le grand lévrier afghan. Son maître le regarde faire depuis la salle à manger ornée de photos de Madagascar. Le propriétaire précédent y avait été gendarme, certaines photos de lui là-bas ont été conservées au mur.

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… Loin derrière le cerisier où les hérissons ne passent plus à cette saison, dans le couloir encombré des achats de saison, le contrôleur des trains regarde un instant la charrette à bras avec laquelle toute la famille a fini son arrivée tremblante depuis la gare, il y a plus de quinze ans. 

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé…Après le jardin aux allées bien tracées, l’homme à la casquette à carreaux appuie son vélo au tronc du figuier sans trembler cette fois, pas comme quand il rentre du café tard dans la nuit. Puis il va s’appuyer lui-même à un buffet sur lequel se trouve toujours une bouteille entamée.

On peut faire demi-tour en regardant passer les trains et leurs grands crissements de freins…

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… Le mécanicien des vélos regarde par la toute petite ouverture si quelqu’un est venu balayer l’impasse. Personne pour annoncer le prochain passage d’un général et faire s’activer toute la troupe ! Il soupire et se retourne vers les vélos à réparer.

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… La marchande de Quatre-saisons se repose. Elle marche au long de son grand jardin en balançant son corps lourd puis elle va accrocher un chiffon à la grande charrette à bras qu’elle amène tous les jours au marché.

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… Le gendre astique son auto, la première de l’impasse, son fils fait courir une balle jaune au long du jardin, du portail vert sombre déglingué à la porte de la cuisine, où chauffe la cuisinière à charbon, à distance de baleine de l’impasse.

C’est le dix décembre mille neuf cent soixante douze et il est trois heures de l’après-midi bien frappé… Chez ceux dont on ne sait presque rien, que des arbres, que des arbres, de grands tilleuls et des arbres petits et touffus, aucune maison ne s’y distingue et des autres maisons, on peste, on peste.

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