Juste à côté de la salle de yoga (qui sert aussi à d’autres choses comme on l’a vu et qu’ils appellent le club house), il y a la piscine et les terrains de tennis. Le maître-nageur sauveteur est chargé de l’ouverture en mai et de la fermeture en septembre. Personne ne le reconnaît dans son jogging délavé et sa casquette. D’ailleurs même en été personne ne le calcule. Il n’est pas d’ici. Un temporaire, un saisonnier, un intermittent, un invisible. La vieille piscine non plus n’a pas son allure estivale. Tendance verte et déjà pleine de feuilles qu’il va falloir enlever avant de mettre l’anti-algue et de tendre la bâche. Après il coupera la filtration et laissera l’eau croupir jusqu’à la prochaine saison. Il déteste les feuilles qui lui prennent un temps fou. Les récupérer à l’épuisette, un travail de bagnard. Chaque année c’est la même chose. Il faudrait fermer plus tôt avant la fin de l’été, le vent et la chute des feuilles ou investir dans une couverture motorisée qu’on fermerait et ouvrirait chaque jour. Chaque année, il en parle. Chaque année on lui répond que c’est impossible avec des mois de septembre de plus en plus ensoleillés. Chaque année il plaide aussi pour qu’on la remplace ou au moins la rénove cette piscine collective vieillissante qui devient de plus en plus difficile à nettoyer. Même les plages cabossées sont dangereuses. Peine perdue, la plupart de résidents ont construit leur propre piscine et n’ont pas envie de payer deux fois. On fait avec, on rafistole, tant que c’est aux normes de sécurité tout va bien.
Il apprend aux gosses à nager et surtout à ne pas se noyer. Il surveille les ados débarrassés des mamans alternant entre lézardage sur les plage, plongeons ratés et premiers flirts. Enfin ceux qui n’ont pas de piscine chez eux ou chez leurs copains. Pour le maître-nageur sauveteur, c’est plutôt une aubaine cette multiplication des piscines, même si quelque part cela lui semble un considérable gâchis. Mais bon, ce ne sont pas les maîtres-nageurs sauveteurs qui sauveront le monde ; son domaine se limite aux lignes de nage et à l’entretien, ce qui n’empêche pas de réfléchir . On peut même dire que l’accroissement du nombre de piscines lui a permis d’accroitre ses compétences : il y a maintenant des piscines chauffées, des couvertes, des au sel et surtout des qui tournent au verdâtre, soit que leurs propriétaires sont trop vieux pour les entretenir, soit qu’ils sont incompétents, soit encore qu’ils préfèrent payer. Du boulot, il y en a, travail d’esclave mal payé, c’est certain. De l’avenir, c’est moins sûr.