A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera

A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera, mais pour l’instant tout est calme. La lumière rasante du soleil d’hiver révèle peu à peu la grande structure métallique surmontée d’une sorte d’aile qui pourrait aussi faire penser à un navire. Des ombres commencent à franchir la grille d’entrée qui donne sur la esplanade légèrement pentue, qui mène à l’entrée du bâtiment principal.
Dans la chaleur de la clim’ qu’on lui a installée dernièrement, elle les voit arriver d’un pas lent ou bien pressé, depuis son petit habitacle en verre. Devant elle, un tricot à peine commencé.

A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera, mais pour l’instant tout est calme. Son téléphone posé sur un gros parapheur noir de son bureau n’a pas encore sonné. La lumière bleue de son ordinateur vient de quitter le mode veille. Confortablement installé dans son fauteuil en cuir il tourne le dos à un meuble imitation bois, sur lequel et posée une lettre sous verre, écrite en espagnol.

A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera, mais pour l’instant tout est calme. Ou à peu près. Les portes d’accès au bâtiment B tintent à chaque fois qu’une forme engoncée dans son survêt’/capuche passe et heurte la poignée métallique. Les lumières du hall d’entrée qui viennent d’être allumées colorent de jaune le mur sur lequel est incrusté non loin de l’escalier A, le buste d’un homme portant perruque. Au dessous de lui on peut lire « Labore et Constantia ».

A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera, mais pour l’instant tout est calme. Il vient de pousser la porte de la « salle des personnels » et de saluer une collègue. Devant lui se dresse le grand L que forment les cent vingt casiers en bois qui séparent la grande salle des deux toilettes qui sont comme cachées derrière. A droite une sorte de petite verrière donne sur un patio où la lumière matinale laisse entrevoir de l’herbe mouillée et un enchevêtrement de branches d’un prunus. Sur le mur opposé, un grand espace recouvert de liège accueille un patchwork d’affiches petites ou grandes et de feuilles épinglées que personne ou presque ne lit. Une banderole de tissu blanc pendouille dans un coin.

A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera, mais pour l’instant tout est calme.
Le couloir du deuxième, mal éclairé laisse voir des trouées de lumières provenant des trois cages d’escaliers. Une femme pousse un chariot sur lequel s’entassent des produites de nettoyage et des sacs poubelles ainsi qu’un plumeau et des brosses. Lorsqu’elle passe sous l’une des lampes blafardes, on peut voir son uniforme bleu et le fichu qu’elle a dans les cheveux. Elle vient de croiser un homme de petite taille qui porte un sac à dos assez lourd. Ils se saluent timidement.

A sept heures cinquante, comme chaque lundi, tout recommencera, mais pour l’instant tout est calme. Elle est arrivée, comme d’habitude, la première dans la salle où trônent quatre grosses photocopieuses. Elle sort de son sac une chemise jaune qu’elle ouvre et en tire un feuillet qu’elle glisse dans le trieur et soupire avant d’actionner le bouton qui mettra en branle la machine dont le moteur tournera tout en faisant un bruit saccadé. Des premières feuilles qui sortent toute chaudes on peut entrevoir un titre, « L’invitation au voyage ».

A propos de Nicolas Larue

Fin du vingtième siècle j’ouvre les yeux sur le monde. Quelques bonnes décades après, je n’en finis pas de trouver tout ça passionnant malgré tout ;)

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