#écopoétique#09 la traversée des catacombes


Rdv tunnel de la gare de Montsouris à minuit avec Qtu rencontré dans une friche le samedi précédant à Pantin. Après avoir longé le Boulevard Jourdan, écarté un ruban de chantier interdit au public devant la gare de la petite ceinture, parcouru le quai, emprunté la voie, voilà le demi cercle des briques du tunnel soutenant les ombres du Parc, jugulant une avalanche de plantes attirées par la pesanteur. Ils sortent les lampes de poche, tout ce qu’ils ont pu saisir de lumineux dans les maisons. Première percée dans l’obscurité. Des gouttelettes tombent le long des parois, ils s’amusent à amplifier leur voix. Ils marchent dans le bruit de leurs pas sur les ballastes en enjambant les traverses jusqu’au halo lointain qui devient peu à peu feu de bois avec les flammes en ombre chinoise qui léchent le plafond arrondi de la voûte entourées de silhouettes allongées. Par intervalle, celles-ci disparaissent dans une bouche d’égout qui en recrache d’autres. Ils prononcent le précieux sésame: Qtu. Pas de Qtu. Un silence suspicieux. Ils peuvent juste sentir peut être un regard, une vibration favorable. Les gardiens de la bouche d’ombres les inspectent parcimonieusement, les jaugent, finissent par accorder leur agrément. Justement un convoi démarre avec deux émissaires du monde souterrain prêts à balader des touristes. Certains d’entre eux hésitent, tergiversent, désirent en savoir plus, mais d’autres remontés – tout le chemin entrepris- se glissent derrière, les autres suivent pour ne pas les perdre. On descend des barreaux d’échelle de quai en fer pour embarquer sur un premier sous sol. Le pallier débouche sur une chapelle grillagée dédiée à Philibert, figure du monde inversée, retrouvé à deux doigts de la sortie, deux cent ans plus tôt. Après une brève génuflexion, le train fantôme s’ébranle. Les cataphiles se déplacent au pas de course pour une nouvelle plongée d’escaliers qui pourraient ressembler à une descente de cave aux plafonds voûtés de calcaire, jusqu’au deuxième sous sol ; un labyrinthe de ruelles étroites et basses ; à chaque carrefour une nom de rue gravée; les rues d’en bas ne portent plus les noms d’en haut, mais ces traces de noms, ces toponymes rassurent comme s’ils ramenaient par leurs racines à la lumière du dehors. On reprend la cavalcade, interrompue par des brefs arrêts où les cataphiles tirent un papier d’une fissure, des messages sibyllins, une fête mardi, l’assemblée jeudi des deux pôles, le monde souterrain et le monde des toits. On reprend la course, direction la Piscine. Ça suit sans discuter. Les premières lampes de poche mal chargées commencent clignoter, la lueur de la lampe bic trouvée au fond d’un tiroir décline, ça fait plus trop le malin, ils suivent comme des canetons du premier jour leur mère. Ils les suivent à l’oreille maintenant puisqu’ils ont allumés devant leurs enceintes et que les riders in the storm rythment leur pas. Ils s’orientent aussi à l’odeur car un fumé de chien mouillé se dégage de leurs anges gardiens. Pour le moment, tout va bien : les catacombes n’ont rien de morbide, ni de crane, ni ossement, ni fémur, ni tibia, ni têtes de mort, ni trace de vie végétale, de racines, de champignons, ni roches dures qui affleureraient les murs comme dans les mines de charbon soutenus pas des bastaings de bois, ni rail, ni fourgon, ni stalagmite à éviter, juste la craie qui blanchit leurs pardessus. Une atmosphère sèche poudreuse et blanche avec une odeur de cave. Halte provisoire à la Piscine qui n’est pas une piscine mais une sorte de station de péage, un hall de gare haut de plafond. Les guides débouchent leur cannette, roulent leurs joints. Eux, un paquet de chips pour huit. Ce qu’ils leur restent du monde d’en haut. Mais déjà les cataphiles repartent en lançant des fumigènes. Direction, le Bunker. Ils perdent la notion de la descente, mais gagnent en sentiment d’étranglement. Les boyaux se resserrent.l’eau laiteuse apparaît. On l’évite en marchant les deux jambes écartées, les pieds contre la parois, ça branlotte. Les petits s’acclimatent mais les plus grands, dos courbés commencent à osciller pour finir dans l’eau, à marcher à grande brassée d’eau jusqu’aux genoux. Pas le temps de réfléchir, de rebrousser chemin, obligés d’avancer et de ne pas les perdre. Les pensées d’en haut apparaissent superflus, plus d’horaires, plus de réveil pour aller conduire un père à l’aéroport, broutilles. Ils ont le sentiment de disparaître, de n’être absolument pas indispensable, de s’effacer, de s’enfoncer dans les boyaux de la terre, de se recouvrir de poussière d’argile, de remonter en avant de l’histoire. Direction le béton du Bunker. Sous le lycée Montaigne. On pense autrement, en taupe, on a les mains devant soi, à tâtons pour se rassurer, on pense galerie, à toutes les galeries empruntées pour en arriver là depuis la gare du parc Montsouris, surtout on se concentre sur la seule chose importante, on aiguise tous ses sens pour ne pas perdre les guides.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.

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