#écopoétique #10 | Obsidienne oeil céleste

Ce serait pour lui comme une religion aux rites païens. La passion des cristaux se découvre pendant l’enfance. Elle met longtemps à disparaître au profit d’autres attirances plus charnelles. Faire des ricochets sur l’eau reste un réflexe puissant devant une rivière longuement sertie entre des galets usés jusqu’au sable multicolore.

Tu lui as demandé avant hier, s’il n’avait pas une pierre noire à te recommander pour la décrire. La question exacte : Toi qui me connais, quelle pierre noire pourrais-tu m’attribuer ? Il n’ a pas hésité une seule seconde. Sur texto il répond : Ne te souviens-tu pas du coeur obsidienne oeil de ciel que je t’ai offert un jour en t’expliquant ses vertus puissantes ?

Tu te souviens du coeur et du geste de Noël après une longue séparation, mais tu as oublié peu à peu comment tu pouvais t’en servir. Tu consultes la Bible des minéraux, dans la bibliothèque de l’enfant d’aujourd’hui qui occupe sa chambre le mercredi, et tu confirmes immédiatement le caractère spirituel du cadeau filial. L’émotion d’un coup te monte à la tête. Offrir une pierre est une marque de considération qui n’a pas de prix.

Tu as égaré le coeur noir dans l’un de tes innombrables sacs (utérus) et ne le retrouveras plus bien sûr avant que le hasard des fouilles le remonte à la surface. Par amour et gratitude, tu as cru d’emblée au pouvoir de ce coeur sensuel au toucher, pendant une longue période, mais tu tenais chaque contact secret car on ne peut pas refuser une intention de protection aussi sincère malgré l’accueil ambivalent d’un objet aussi compact et muet. Ta fille ramenait parfois l’oeil de Fatma de ses pérégrinations à l’étranger… Et tu l’as gardé lui aussi. Enfants -cailloux !

Le magnétisme des pierres est visible. La magie des aimants le prouve. On s’en sert sur nos frigos où toutes sortes de magnets s’accumulent pour rappeler qu’on aime les images et les souvenirs de rien du tout, entre post-it et trophées de voyages. L’alphabet en premier, où s’écrivent les prénoms, les émoticônes des émotions, les gardiens de recettes de cuisine. Toute une vie commune sous des aimants.

Tu ne connais pas grand chose à la géologie, mais tu es amoureuse des pierres et des cailloux de rivière. Tu les fréquentes l’été sous de belles falaises de calcaire ajouré. Les dentelles superficielles de tout un monde souterrain beaucoup plus humide témoignent d’ères glaciaires et de transformations qui dépassent l’entendement, mais pas l’imagination. Ici, il y avait des lionnes, des aurochs, des ours de caverne et des mammouths. C’est bien sur les parois de roche calcaire, au coeur de grottes ténébreuses, munis de tisons et de mottes d’argile, que nos lointains ascendants les ont immortalisés. Tu as grandi non loin de la Grotte Chauvet sans savoir qu’elle existait. Aujourd’hui tu ne manques pas ta visite annuelle pour l’admirer.

Le coeur noir d’obsidienne est, me rappelle-t-il un bouclier. Ce serait un Romain Obsinus qui lui aurait légué son nom après sa découverte à l’état brut, en Ethiopie. Ce n’est pas une pierre rare puisqu’on la trouve aux Etats-Unis , au Japon; en Arménie, au Pérou, et bien sûr au Mexique… Elle est associée à l’action des chakras racines… C’est une pierre puissante qui doit être régénérée selon plusieurs méthodes que l’on trouve facilement sur internet (lit de quartz, pleine lune, soleil…), j’en déduis qu’il faut la soigner pour être soigné.e.s. Elle serait très puissante puisqu’elle induirait aussi l’introspection et ses chamboulements…

Une  » pierre inexplicable  » dirait peut-être l’écrivain volcanique Lionel Bourg qui l’a sans doute rencontrée dans sa propre quête au coeur des mines stéphanoises près desquelles il vit encore. Il faudrait que je le relise, car j’ai tout de suite pensé à lui lorsqu’il s’est agi de parler des richesses minérales et de leur contact. Tu vois bien que je mélange tout, et pourtant je sais que je m’approche de la valeur symbolique et sentimentale de ce que j’évoque. Les pierres ont de puissantes connections avec le vivant et ses outils.

70 à 80 % de silice, de fer, de magnésium, l’obsidienne noire provient d’éruptions volcaniques, elle est fille de lave figée, elle peut être rouge acajou. Elle a été utilisée et taillée pour ses qualités de tranchant ( lames, flèches, couteaux, armes…). Les Mayas Aztèques la réduisaient en poudre pour l’appliquer sur les plaies ( vertu cicatrisante). On la trouve aussi en France dans les fouilles préhistoriques.

Pierre d’ouverture spirituelle ou de défense contre le danger, l’obsidienne oeil céleste ne peut me laisser indifférente. Elle représente à la fois le temps et la permanence de l’esprit de guérison indissociable des destinées humaines. Je lui confère une valeur de grigri et de porte-chance lorsqu’elle a été donnée de manière chamanique, de la main à la main, dans un petit sac de velours. Je suis certaine de la retrouver intacte, après l’écriture de ce texte. Il suffira de fouiller dans mes archives sentimentales.

Je relie cette redécouverte avec un poème de Katherine Mansfield traduit de l’anglais par Jacques Ancet :

Tout au fond de l’océan

Gît un coquillage arc-en-ciel

Il est là, toujours, brillant paisiblement

Sous les plus hautes vagues des tempêtes

Comme sous les bienheureuses vaguelettes

Que le vieux Grec appelait ride de rire

Ecoute – tout au fond de l’océan

Le coquillage arc-en ciel chante

Il est là, toujours, chantant silencieusement .

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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