#écopoétique #09 | Au milieu de la lande avec Mercier et Camier

Le voyage de Mercier et Camier, je peux le raconter si je veux, car j’étais avec eux tout le temps. Je peux raconter la fin du voyage à travers la lande d’Irlande, la disparition dans la branche droite de l’arbre pour Camier, la disparition dans la branche gauche de l’arbre pour Mercier. Pourtant ils n’avaient pas envisagé cette issue un peu plus tôt, ils voulaient voir le dessous de la tourbe, trouver enfin l’apaisement dans l’eau boueuse et peut-être aussi se rafraîchir un peu le canal. Ils étaient prêts à se laisser absorber par la lande, à céder aux dernières limites de la fatigue, aux confins de la folie. Leur crainte était de se coucher prématurément sur le sol, c’est-à-dire de renoncer à l’expérience qui consiste à se fondre dans la tourbière, à laisser arriver le moment où l’on ne fait plus qu’un avec la matière. L’échec du voyage aurait été de céder au désir de s’arrêter, de contrôler le moment de la fin, de s’en remettre à la volonté humaine. J’imagine le moment où la matière l’emporte, terre, arbre ou eau, où l’agentivité humaine disparaît. J’imagine le moment de la fusion avec l’enveloppe terrestre, le froid, la pluie, la nuit n’existent plus, aux dernières limites de ses forces le corps se livre à l’écorce, l’esprit s’intègre au substrat.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.

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