#écopoétique #06 | Aux nuages noirs

Le nuage noir.                                                             La vague du nuage noir, j’ai encore fait ce drôle de rêve.                                        La vague du nuage noir, je sais pas ce que ça représente, cette vague qui monte sur l’horizon.                                 Ce rêve du nuage noir qui monte, qui monte, tendu sur tout l’horizon, qui monte d’autant mieux qu’on se situe au sommet du coteau.                                        Une lame ce nuage noir, un rouleau qui s’étale sur le bleu du ciel, sur la lumière voilée, sur la champagne, sur les vignes, sur la haie au bord du chemin, et pas un signe pour annoncer la force qui vient, qui monte.                                                            La vague du nuage noir, j’en rêve comme ça de temps en temps, ça faisait longtemps, et c’est comme si c’était un nouveau rêve, une autre vague qui monte, en nuance de noirs, surgie de l’horizon, des coteaux, et moi, nous mais qui sont les autres ? sur le chemin, sur la crête d’un coteau le long d’une haie.                                              Ce rêve du nuage noir, il monte d’un rêve à l’autre en fait, et toujours tout en nuances, la lame des rouleaux noirs fondant sur l’horizon, absorbant les coteaux d’ombre, effaçant la lumière et le soleil, pesant de tout son acier d’étincelles frondeuses sur l’air, aplati, plombé, fondu, perlant sur nos tempes et ruisselant dans le creux de l’échine jusque dans les talons, et nous voilà lestés, incapables d’avancer sur le chemin, bloqués sur la crête, à regarder, appareils en main pour immortaliser la chose, qui ma foi n’a lieu que dans les rêves, cette vague noire qui roule sur le ciel refermé.                              Ce souvenir du nuage noir qui monte, qui se dresse sur l’horizon, ce phénomène surréel propice aux rêves les plus fantastiquement réalistes, tout le monde l’a eu en même temps que moi, ce jour de marche gourmande semi-nocturne, et il faisait encore grand-jour, et il a été vite balayé, vite plié, et pas un signe pour annoncer la force de la nuit avancée, ou alors ces étincelles furtives qui embrasaient toute la masse noire comme un big bang sourd, muet, et on en restait bouche bée au fond, planté là au milieu du chemin, au milieu du parcours, et comme elle était loin la fin, comme elle était longue la distance à parcourir, à courir dans cette nuit refermée sur le jour, en rafales cinglantes sous la pluie.                                    Et la salle des fêtes, je me retrouve à l’entrée, au bord de la route, les gens arrivent en courant, la tête dans les épaules, cachée sous une capuche, recroquevillée sous un coupe-vent, une veste, la casquette détrempée, un parapluie déglingué, je fais la circulation, j’arrête les voitures d’un côté, de l’autre, qui arrivent pleins phares, les essuie-glaces battants, et la bétaillère de Seb qui descend de la route du bourg, de l’église, le moteur hurle et les freins silent, la porte claque, et une vingtaine de personnes, peut-être trente, cinquante, sortent, courent vers la salle des fêtes, la file des véhicules à l’arrêt s’est allongée, des dizaines de chaque côté, ça klaxonne, tout le monde klaxonne mais t’entends pas, rien, avec le grondement de la pluie noire, le rouleau de la vague qui se referme encore une fois et délave au noir l’église, le bourg, les routes et les véhicules, et la salle des fêtes, et tu restes là, au bord des phares, à gueuler, gueuler, et gueuler sans bruit.                                                                    Il y avait un petit garçon comme ça, aussi, les jours de pluie, les jours d’orage, quand ça montait au premier coup de vent à faire claquer les volets, la pièce devenue d’un coup sombre, de grosses gouttes éparses cognant aux vitres, à la véranda, je me rappelle comment il sortait et courait sur la route, d’un pas entravé avec des bottes trop grandes, ou le paletot flottant du grand-père sur le dos et il enfourchait son vélo, parfois un parapluie en main, une pile électrique bien pâle, il montait comme ça au sommet de la colline où se trouvait un arbre pour, là, sous le feuillage ébranlé, crier, crier à la nébuleuse noire dressée, en se débattant, en bataillant, les éclairs zébrant le ciel, criant Viens ! viens ! tu crois quoi, je t’attends ! viens ! viens si t’es un homme ! et sur la figure de la pluie et des feuilles.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

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