Au bout du quai, le silence est épais. Les herbes sèches restent immobiles, et le gravier glisse sous les pieds. L’eau autrefois passait ici, creusant des sillons d’argile et de rouille, élevant de petites buttes le long des berges. Plus tard, je plongerai une main dans cette terre fendue, pour retrouver ce qui persiste — une trace humide, une marque laissée par le fleuve avant son retrait. Si je ferme les yeux assez longtemps, je pourrais peut-être encore sentir l’eau se heurter aux pierres, remonter sous mes semelles.
La ville ne nous attendra pas ; nous la traverserons, une rue après l’autre. Sous les ponts couverts de mousse, derrière les vitrines éclatées, s’entasseront des morceaux de verre et de vieux journaux. L’ancienne gare se tiendra là, ses rails rongés s’entrecroisant en un réseau de lignes folles sans but. Les façades se fendilleront, les volets en bois pendront, retenus par des charnières rouillées. Parfois, une bourrasque arrachera une affiche, on croira lire des mots que le soleil a effacés depuis longtemps. Les bâtiments s’effondreront par endroits, une brique à la fois, tandis que l’eau imaginaire trouvera son chemin sous les arches fendillés . Plus tard, je me souviendrai de ce moment — du bruit de la pluie qui rongeait lentement les pavés, des flaques où les reflets vacillaient avant de s’éteindre.
Ce n’est pas tant ce que l’on voit, mais ce que l’on devine. Une rue droite, au loin, noyée dans la poussière. Un éclat de lumière sur une vitre souillée par le temps. Un ruisseau qui court brièvement entre deux rangées d’herbes. Je m’arrêterai, les yeux fixés sur un point de l’horizon, et tenterai de reconstituer de mémoire une carte de ces sentiers perdus , de ces villes repliées sur elles-mêmes. Un jour, peut-être demain, j’essaierai de dessiner cette carte — des ponts, des canaux, des venelles étroites qui serpentent entre les entrepôts et les jardins en friche. L’eau effacée n’y laissera sans doute que des marques à peine visibles , se fondant dans les fissures des murs.
« Un jour, peut-être demain, j’essaierai de dessiner cette carte — des ponts, des canaux, des venelles étroites qui serpentent entre les entrepôts et les jardins en friche. » Vers un tableau impressionniste ou abstrait ? Je lis avec plaisir ce texte où l’eau se retire en catimini et laisse voir sans linceuls, les squelettes désarticulés du passé … Une mémoire sèche, sans paroles, presque sans repères. Juste l’insistance de la disparition généralisée dans le présent. .
la justesse de l’imprécis « Plus tard, je me souviendrai de ce moment — du bruit de la pluie qui rongeait lentement les pavés, des flaques où les reflets vacillaient avant de s’éteindre. »