#écopoétique #08 | Adduction

Il a soif. Descend dans la cuisine. Sa main n’a pas encore touché la robinetterie qu’un long gargouillis sourd sort de l’évier. La plomberie de la maison vibre, chante. C’est incompréhensible. Il fait couler l’eau. Referme le robinet. Le bruit persiste, continu, sans fin. Il n’a jamais entendu ça avant. Il cherche le robinet d’arrêt. Il l’ouvre, le ferme. Rien n’y fait. 

Il sort alors dans la rue. Décidé à couper directement l’arrivée d’eau au citerneau. Mais il semble bien que ce soit peine perdue. Le bruit est là, plus sourd. Ça vient du réseau d’eau potable. Ça vient de sous la terre, de bien plus loin. Plus loin que de ce bout d’adduction de cette petite rue tranquille. Plus loin que du boulevard du général Illustre qui mène au centre-bourg. Il fait nuit. Les rues sont désertes, plongées dans le noir. Il n’a qu’à remonter à la source de cette bizarrerie sonore pour espérer une explication. Il n’a qu’à tendre l’oreille.

Il se met à suivre le chant sub-terrestre. Traverse le centre-ville puis la zone d’activité. Au croisement de la route départementale, une voiture passe plein phare. Le laisse un moment ébloui. Il se remet en marche. Le grondement l’entraîne à travers les vignes, droit au château d’eau. Éclairée par la Lune, sa fine silhouette parabolique se découpe sur l’obscurité. Au pied, un trait de lumière. L’éclairage intérieur est resté allumé. La porte entrouverte. Il n’y a qu’à la pousser. Il n’hésite pas à un seul instant comme aimanté par l’étrangeté qui la conduit jusqu’ici.

Il se retrouve dans le fut élancé de l’ouvrage. Les colonnes d’acier harmonisent étrangement. Il les suit du regard jusqu’à le perdre là-haut dans un vertige. Il n’a qu’à suivre l’escalier en colimaçon posé comme une paille dans un grand verre vide. L’ascension est rapide. Elle donne le tournis. Il arrive le souffle court dans cette petite salle circulaire au dôme percé à son sommet. Il n’y a rien que ces trois grosses conduites noires flanquées de large vannes, et cette échelle qui mène toujours plus loin. Rien ici pour résoudre le mystère. Il n’a pas d’autre choix que de poursuivre, échelon après échelon. Monter dans cet étroit boyau sombre où le borborygme profond et caverneux s’impose, plus présent que jamais.

Le voilà maintenant au-dessus de la cuve, au-dessus d’un chaudron en ébullition. Comme un geyser en activité, de grosses bulles éclatent à la surface. L’eau bouillonne de toute part. L’eau a changé de nature. C’est l’intranquillité qui semble désormais l’animer.

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