#écopoétique #05 | Chez Dada il y a…

Il y avait un sentier. On passait entre les murs du fenil et de la vieille grange abandonnée, qui commençait à tomber en ruines, et y avait plus qu’à suivre dans l’herbe, parfois haute, la petite ligne noire. Ça y menait directement. Souvent, on rencontrait un petit garçon ou une petite fille, ou les deux, en train de jouer sur un drôle d’engin bricolé, inventé. La faneuse ou la faucheuse, pour lui, c’était toujours un vaisseau à quatre hélices laser se transformant en bouclier, une arme de missiles à turbo propulsion. Et parfois des repaires de nids de guêpes qui gagnaient la bataille.                                                    On passait devant le hangar. Une plateforme de béton, deux piliers de parpaings pour une poutre métallique, un toit d’éverite ou de tôle ondulée. Ça devait être un garage, ça devenait le terrier peu à peu envahi par de hautes herbes, des mousses, et puis refermé par des ronciers et des pieds de frêne, d’un tracteur bancal, à trois pattes, piquant du nez.                                                        Devant, il y avait un mur de cages. Des cages de toutes tailles, parallélépipèdes de barres en alu et de grillage fin, parfois empilés, pour des centaines de tourterelles. Ça roucoulait en continu, en battements d’ailes et plumes volantes. Mais c’était surtout l’odeur de la fiente. Je sais pas comment ça marchait avec les chats. J’imagine qu’il y en avait pour tourner autour des cages et en agripper. Il y avait pas mal de chats, une dizaine. Devant sa porte, un parterre de ciment avec des pots de fleurs au pied du mur, des géraniums, elle laissait des gamelles de pain et de lait pour les chats du village et les chats de passage, qui finissaient par rester. Ils étaient là, dans les environs, ou assis, couchés sur un rebord de fenêtre avec un géranium. Mais quand on arrivait, la plupart déguerpissaient. Lee petits s’amusaient à leur courir après.                             On y allait surtout pour lui apporter son pain, ses tranches de jambon blanc et un morceau de mimolette, du courrier, un bidon de lait, ses magazines Télé Z et Nous Deux. On savait quand on y allait, pas quand on allait rentrer.                                                Il devait y avoir une vieille gazinière ou une machine à laver devant la porte, ou pas loin, en attendant, longtemps, la ferraille. La porte d’entrée souvent ouverte. Un trou en bas, comme si on avait rongé le bois. Les chats passaient par là quand la porte restait fermée.                           Des chats, il y en avait toujours un plus ou moins malade, qui se trainait ou titubait, le dos pelée, l’œil boursouflé, le museau pris. Une fois, le petit garçon en a retrouvé un sous le tracteur en train de dormir, la tête calée contre le pneu à plat. Il a voulu le réveiller par surprise avec la tige de bois qu’il avait récupérée, d’un coup sec sur le pneu, mais il a pas bougé d’un poil. C’est un essaim de mouches qui s’est envolé.                                                          On entre dans un couloir assez large, mais finalement assez étroit à cause des piles de magazines le long des murs, sur des chaises, des tas de briquettes rouges et des parpaings, des plaques de placo, des sacs de ciment, des sacs de nourriture pour chats et des boîtes de pâtée, des pelles, une pioche, un seau et des truelles, une machine à coudre à pédale au bout, une cuvette de toilettes, des gamelles pour les chats dedans. Dans le mur, une espèce de trou, l’emplacement prévu pour un évier, où une chatte pouvait s’installer avec ses petits. Une baladeuse pour la lumière.                                   Un autre couloir, sombre, deux portes côté droit. La première, c’est celle du vieux Grive. Tu entres pas. Il est pas méchant Grive. Mais il est malade. Et puis il est mort. Il venait se faire couper les cheveux chez Lulu parce qu’elle avait une tondeuse manuelle. Enfin, ce qu’il lui restait de cheveux sur le caillou, derrière. Il parlait pas beaucoup. Il avait les yeux d’un bleu clair et toujours l’air un peu inquiet. Peut-être parce qu’il s’attendait à ce qu’on lui parle et alors il faudrait répondre. Avec les petits il était plus souriant, et ils l’aimaient bien. Il était gentil Grive. Mais ils entraient pas chez Grive, ils passaient devant sa chambre et frappaient à la seconde porte, au fond du couloir. Et juste à côté, une autre porte, la porte vitrée des toilettes à venir. En attendant, un pot de chambre.                                                    Une chambre d’environ 15 m2, une fenêtre, une cheminée avec des bibelots. Un lino imitant un sol de tomettes rouges, blanchi par endroits. Les murs, je ne sais pas. Où se trouvait le frigo ? Je vois le lit au fond à droite près de la fenêtre et en face une petite table, une chaise ou un fauteuil. Là où elle s’installe pour manger son jambon et sa mimolette, une pomme. Là où elle fait ses mots sur ses magazines. C’est surtout pour faire ses mots qu’elle les achète. Télé Z, elle a pas la télé, mais la radio. Nous Deux, alors qu’elle vit seule. Elle devait quand même les lire aussi. Avec quoi elle se chauffait sinon ?

                                           Je me souviens plus très bien, en fait, même avec les photos, mais c’est pas des photos d’époque, je les ai prises… je sais plus quand, mais y a pas si longtemps et… ça correspond pas avec ce qui me reste en tête, je veux dire… le temps passe, la dalle en ciment c’est un vrai parterre d’herbe maintenant, avec un tas de gravats, la toiture s’est effondrée, restent ici ou là au sommet des murs les bordures de l’espèce de rive façon génoise qui devait être magnifique neuve, avec ses trois rangs de tuiles superposées, avancées dans le vide, et ça sert maintenant de terrain à des plantes sauvages, c’est tout ce qui reste du toit… c’est tout ce qui reste des deux chambres du logement, les murs encore debout, pour combien de temps, les vitres cassées, la porte disparue, des pierres, des tuiles et des morceaux poutres au sol dans l’entrée… le couloir, couvert de mousses, d’herbe, d’autres plantes sauvages, et de jeunes sureaux se sont implantés, un figuier, du lierre et des ronciers par-dessus les murs, la nature reprend ses droits… tant pis pour ce qu’on a laissé, d’ailleurs on a presque tout emporté, on lui a préparé le terrain, on a juste laissé ce qu’il fallait pour bien comprendre ce que c’est, en somme, une nature morte, que c’est la nature la plus vive, en fait, la vie la plus naturelle qui reprend sa course dans tous les sens… ça sentait presque le sous-bois, mais du genre renfermé avec le bois pourri et le salpêtre, mais ça devait déjà sentir comme ça, avec la pisse et la bouffe des chats… les étais rouillés posés contre le mur de brique rouge auréolée de vert, le pédalier sans machine à coudre, des forets dans la niche de l’évier, avec une brosse et un personnage en porcelaine, une espèce de figurine aux faux air de Bouddha… tout ce qui reste c’est des éclats de pierre, des bouts de tuiles, des morceaux du plancher et ça craque, ça cliquette et ça casse sous les pieds, avec de la toile en plastique noir dans la chambre du vieux Grive, et une structure en métal incompréhensible, renversée peut-être, les pattes en l’air… le lierre qui descend, des arbustes poussant tout en tiges, et le mur d’un bleu ciel encore clair, sans écailles, comme s’il venait d’être peint… la chambre du vieux Grive, toujours close, où les petits étaient jamais entrés, à ciel grande ouverte cette fois… dans la chambre à côté, il est pelé le mur, mais la végétation est pas entrée, le plafond tient encore, juste un trou, quelques gravats au sol, les bibelots toujours sur la cheminée… la table en formica taché et gondolé par l’eau, une pile d’assiettes brisées, un bougeoir, des coupelles et une seule tasse cassée, la cafetière en plastique transparent sans verseuse, elle est pas là où je pensais la table, elle est à la place du lit, et devant un canapé, le canapé sur lequel les petits auraient sauté au point de casser les ressorts, avec une couverture rose dessus, et une autre par-dessus, pliée, qui ressemble à une fourrure… la chaise faite nid d’araignée dans l’encoignure du mur, près de la fenêtre, les rideaux en lambeaux… un pot en cuivre rendu tout bleu par l’oxydation dans un autre coin, avec un long manche rouillé, à quoi ça pouvait servir… le pichet à eau en forme de bonhomme avec une moustache, un chapeau plat noir, un paletot et une écharpe autour du cou qu’il tient des deux mains, il a l’air de siffler, c’est par là que l’eau doit sortir, comme les deux mains roses tenant un pot blanc, vase ou vide-poche, on fabrique de ces bibelots… un balai de cantonnier contre le jambage de la cheminée, et une statuette en plâtre sur la plate-bande, une femme blanche, silhouette élancée, une longue robe ajustée descendant jusqu’aux pieds, une main sur une hanche, l’autre sur la tête d’un chien, debout, elle semble regarder par la fenêtre et il faisait très beau, la lumière entrait largement dans la chambre, illuminait la dame blanche et son voile de poussière, les moulures formant un cadre bleu ciel sur fond blanc, les gravures symétriques autour, creusant d’ombres les lignes sinueuses montantes pour deux oiseaux, quelques feuilles, et des fleurs.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

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