# éco-poétique #6 | retour








Un jour comme tous les autres de cette quinzaine-là, la piscine est derrière la macu, tous les matins une cinquantaine de longueurs – pas si lentement en crawl (la première fois que je nageai dans cette eau-là – piscinière – le prof de gymnastique m’avait demandé si je savais vraiment nager – huit ans – en fait non, pas dans cette eau-là mais j’ai appris assez vite, j’ai été porté par l’eau avant que par mes jambes – mais elle était salée, certes) – les semaines qui avaient précédé avaient été occupées par du travail en usine, mais non pas en établi, en prolo tout court – je n’avais aucune conscience politique, non, aucune mais je portais un bleu – un jour comme tous les autres, je remontai alors vers la maison sous la pluie sans vraiment chanter – dès le soir du premier juillet de cette année-là la décision prise de ne jamais plus (jamais plus) travailler en usine en chaîne ou en quoi que ce soit du genre trois-huit ou pas – plus jamais – il pleuvait mais ça m’était complètement indifférent – et les mois de juillet et août passés à bosser, nettoyer ici l’extension, là les néons, couper des rangs de caoutchouc écouter les cris des malaxeurs et des ouvriers à la pause, la prime de douche et de noir de carbone, l’heure de la pointeuse débitée en centième – toute l’eau du monde, les caniveaux à ras-bord et l’amusement d’y marcher – les vingt-deux minutes de pause pour déjeuner – et puis le travail au dépôt, et puis l’inventaire de la fin août à soixante-douze heures la semaine – la prime aux huit premières heures supplémentaires, puis doublée aux huit suivantes – deux francs quatre-vingt-neuf de l’heure – les habits trempés, les chaussures qui bruissent et le plaisir de marcher seul – le pécule accumulée ainsi à la banque du commerce et de l’industrie de la rue des trois cailloux – bnci, il manque le nationale – elle y est toujours mais a changé de nom – ma mère qui m’y avait ouvert un compte, quand j’y pense je me dis que dans certaines familles, l’argent du travail des enfants sert aussi à l’entretien de la maison, et l’intendance, parce qu’enfin il faut nourrir tout ce monde-là – le bruit des gouttes, les claquettes de la pluie – aujourd’hui, la pluie n’a pas cessé ce sont les suites de l’ouragan la traîne comme aux comètes explique laborieusement la technique la vigilance la précaution la prévision – était-ce dans Samedi soir dimanche matin que le type jette sa paye, après y avoir prélevé quelques livres (shillings plutôt) pour les bières de sa soirée, sur la table de la cuisine (le soir, en sortant du bal, il pleut et Albert Finney,le col de sa veste relevé, fume tandis que son amoureuse lui tient le bras, ce dimanche matin-là : l’idée que j’en garde c’est qu’ils sont heureux en venant vers nous) – je ne fréquentai pas les bals, mais non, il ne faisait pas froid, pas du tout – y a-t-il là de la douceur, est-ce cette douceur de penser les souvenirs ? tout ça était destiné à l’achat de quelque chose, est-ce bête et borné, je remontai la rue, passai au dessus des voies de chemin de fer, je ne suis pas certain de la fumée des locomotives cependant – une moto, apprendre à la conduire et passer le permis avec ces sous-là, toute la journée il a plu et ça me porte sur le système, mais lequel ? nerveux pileux sympathique digestif sanguin qu’en sais-je, je remonte la rue, les muscles détendus, bientôt la rentrée, en seconde scientifique mais sans latin, allemand deuxième langue – une british small armory monocylindre de deux cent cinquante centimètres cubes – la pluie, here come the rain again chante Annie Lennox aujourd’hui qui tourne ainsi que Queen ou qui sais-je – mes vêtements sont à tordre, ce que je fais en rentrant, il pleut encore il pleut, je ne sais plus il y a quelqu’un à la maison ? Il pleut des larmes de pluie dit la chanson, tandis qu’une autre fait c’est pas ma faute à moi les carreaux de l’usine sont toujours mal lavés, non c’était l’usine sans être complètement une torture ni une vocation, juste une façon d’avoir un but et de s’exercer à le tenir (cette idée-là n’avait pas cours), je ne sais plus mais certainement quelques mois ou un ou deux ans plus tard, le choix se porterait sur la Califonia, ses soixante chevaux et ses deux cylindres en v face à la route (un semblable deux-roues à celui du père de mon amoureuse) – il pleuvait ce jour-là, oui, et l’avenir était ouvert

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

8 commentaires à propos de “# éco-poétique #6 | retour”

  1. c’est fort cette imbrication des temps, des pluies, des cadences. C’est le réel qui sort des eaux. La piscine, l’usine , la rue ( l’argent_ liquide ?) … la pluie fait des claquettes… accompagne la marche, je chante souvent dans la rue et cette chanson là en particulier . Merci Piero

  2. ton récit toujours divaguant nous entraîne d’une pluie à l’autre avec une facilité déconcertante, bouleversante, on t’accompagne dans ta marche et dans ton usine, on ne sait pas à quand ça remonte et qui est vraiment le personnage, on se dit que ça n’a pas d’importance, tu réussis à nous rebasculer sur un épisode de pluie entre chanson et cinéma, et je cherche toujours la vérité avec toi…

    beaucoup aimé ta phrase qui ressemble à une chanson
    « aujourd’hui, la pluie n’a pas cessé ce sont les suites de l’ouragan la traîne comme aux comètes explique laborieusement la technique la vigilance la précaution la prévision  »

    salut Piero

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