#mardis #03 | Argence

Le moment où elle s’éveille. Chez elle.
Le moment où elle s’éveille. Ici. 
Le moment où elle ne sait comment la porter, la journée
Le moment où l’on frappe, entre, Bonjour, pose café, biscottes. Part.
Le moment où il faut se lever, se hisser, se traîner
Le moment où il faut traverser la chambre, arriver jusqu’à la cuisine. Du studio.
Le moment où il est trop tôt pour téléphoner
Le moment où l’assaillent les idées
Le moment où entre la voisine. 
Le moment où seule avec cette folle
Le moment où vient le kiné, le neveu kiné, le moment du tu, des sourires, des jambes qui s’étirent, des épaules qui se détendent
Le moment d’attendre, d’attendre le moment du repas
Le moment de descendre, de prendre l’ascenseur, d’entrer dans l’ascenseur, de manquer de se faire broyer par la porte de l’ascenseur, d’appréhender se sortir de l’ascenseur, de  se faire broyer par la porte de l’ascenseur
Le moment de rejoindre sa table, de traverser en poussant le déambulateur la salle à manger, de les voir ces vieux écroulés sur leurs fauteuils, tête branlante au-dessus du potage, ces regards hagards, ou vides, ou qui te regardent. Les pires. 
Le moment de dépit renouvelé, de même plus colère, le moment de confirmation que le plaisir de manger n’est plus pour elle, plus pour eux, de colère quand même, encore un peu, parce que pourquoi ces noms sur le menu, pourquoi ce menu si ces plats sans saveur, cette viande de carton, ces légumes spongieux
Le moment d’attendre
Le moment de prendre le soleil. Autant remonter.
Le moment de remonter, de s’effrayer, d’affronter l’ascenseur, d’espérer arriver
Le moment de regarder la télé
Le moment de regarder la télé
Le moment d’espérer une visite
Le moment de regarder la télé
Le moment de téléphoner. A la fille, au fils, à la petite-fille. Et puis à la fille. Et puis à la fille. Et puis à la petite-fille.
Le moment de prolonger voix, visages, lieux
Le moment où revient le bourdon, le blues, le noir, le moment où lâcher peut-être, le moment où fatigue, fatigue d’être
Le moment où seule
Le moment où la télé ne peut plus, où la couleur, la musique, les histoires, ça prend plus
Le moment de se traîner jusqu’au lit, de s’emplumer, de disparaître.   

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

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