#écopoétique # 3 | jardin fantôme

En longeant le fleuve pas encore traité à prix d’or pour accueillir les nageurs olympiques, on pouvait capter présences, reflets, silhouettes, comme toujours. Le grand chambardement était annoncé mais il n’atteindrait ni la cathédrale en cours de rétablissement, ni les ponts, ni les pavés des quais ni la petite histoire, ni le peuple des bords. C’est ce que je pensais en marchant sur le quai d’en bas. J’ai dépassé l’endroit à partir duquel j’avais décidé de rebrousser chemin, avant le pont moins connu, sous lequel une sorte de froid attardé était comme en embuscade, dans l’ombre. Puis J’ai changé d’avis : en pressant le pas, je suis quand même passée par là, et juste après, me suis arrêtée net : un peu en retrait, une petite tente-igloo, de celles que distribuent les associations aux sans-logis, baignait dans un rayon de soleil. A côté, un homme assis dans un fauteuil cassé contemplait son domaine : l’eau en fuite, un peu retenue par les péniches amarrées. Et surtout, encerclant tente, homme et trône, était installé un rempart de jardinières ébréchées, de pots offrant un asile inattendu à toutes sortes de plantes parfois amochées mais toutes récupérées. Là, c’est des tomates-cerises, a dit l’homme à celle que j’étais ce jour-là. Tu peux goûter, elles ne sont pas empoisonnées. Ce que j’ai fait, en cueillant un fruit acidulé dans le jardin clandestin. J’ai ensuite voulu replacer un pot dans l’alignement mais les racines avaient traversé les trous du fond et s’agrippaient au petit peu de terre de l’autre côté. Je n’ai pas insisté, le pot était bien à sa place. J’ai remercié l’homme, le fleuve, la vie, ai encore marché jusqu’au pont d’Austerlitz, côté Jardin des Plantes. Là, j’ai récupéré quelques graines, que j’ai enfouies dans ma poche.  Longtemps après le grand jeu, je suis repassée par le quai d’en bas. Même froid sous le pont, même ombre. Juste après : plus rien, plus personne. J’ai bien regardé, fait le tour, vérifié l’endroit mais aucun doute. J’avais gardé les graines :  déstabilisée, je les ai semées dans un tout petit reste de terre, après le pont, avant de m’éloigner, comme une orpheline. Dans le journal, j’ai lu par la suite que l’Evénement avait été une grande réussite populaire, mais qu’il avait fallu pour cela nettoyer non seulement l’eau du fleuve mais ses berges, pleines de rats.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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