La torpeur du soleil faisait taire la ville endormie. Assommée. Abrutie. Au fur et à mesure où elle s’éloignait de l’axe routier principal, le silence gagnait. En épaisseur. Même si le silence, ça n’existe pas. Ce qu’elle croyait. Frôlement des pas dans les herbes, pépiement des oiseaux, froissements. Le silence, pensait-elle, c’est l’inhabité. Le désert, c’est le silence. Elle déambulait au hasard des quartiers, dédales de rues et de friches. Et pénétrait dans ce qu’on appelait ici la Ville-Feuille, celle qui échappe aux plans, aux guides, aux atlas : depuis plusieurs années déjà, les friches gagnaient du terrain, à mesure que les habitants quittaient l’île en laissant les maisons à l’abandon. A force de querelles d’indivis sans fin. Le silence gagnait à mesure que la ville se taisait. Les toits des maisons en bois ouvertes pour certaines aux quatre vents menaçaient de s’écrouler. La végétation s’emparait des murs, courait les terrasses, mangeait bientôt les intérieurs. Oui, la ville se taisait sur ce territoire et le silence gagnait. Une dalle en béton dont ne subsistait que le cadre de porte d’une habitation fantôme était envahie de lianes. Un papayer poussait au creux des quelques marches qui en marquaient l’entrée. Des tôles noircies et une grille rouillée disparaissaient presque sous les herbes folles. Elle prit un chemin de traverse, une de ses traces ménagées par les habitants à même la végétation pour rallier entre eux des quartiers. Les traces elles-mêmes s’effaçaient, envahies d’herbes folles et coupantes. Depuis quelques temps elle était hantée par la destruction et la disparition. De part et d’autre de la sente, une végétation dense que trouaient des vestiges d’une vie passée : un sol de faïence bleu et blanc, un ancien four à pain, une vierge à l’enfant face contre terre et tout autour quelques bougies encrassées, des déchets de toutes sortes. Un peu plus loin, un figuier maudit enserrait les restes d’un pont de pierre. Et dans tout cet effondrement, elle perçut alors le silence qu’elle confondit avec la solitude.
Réécriture de : #40jours #11 | du mot « perdu » (mais avec Franz Kafka & Jacques Abeille...)
J’ai été touchée par ce voyage en silence dans cette ville feuille. Merci Émilie
Merci Isabelle de ton retour. Ca donne du courage. Je tente tant bien que mal d’oser l’aventure dans ce nouveau cycle. Mais la vie malmène…