#écopoétique #05 | Entre rêve et réalité

Elle a longtemps hésité et puis finalement elle l’a achetée la petite maison de ses rêves au bout de ses pas au milieu d’un pâturage près de la forêt. La porte grince, s’ouvre sur une seule pièce éclairée d’une seule petite fenêtre. Sur l’étagère au-dessus de l’évier en pierre, elle a mis des bougies, une réserve de bougies et de boîtes d’allumettes. Dehors, le puits ombré par un vieux poirier n’est pas loin au milieu de la petite cour. Sur le bord de la fenêtre, elle a mis quelques fleurs roses parce que le rose va bien avec le vert du printemps, elle ne savait pas encore la couleur qui irait bien avec le froid de l’hiver alors elle s’était dit que ce serait la couleur des mots qu’elle écrirait sur ses cahiers. Sous le lit en fer blanc, elle a glissé la boîte des souvenirs de son père, la correspondance avec sa mère quand il faisait son service militaire. Elle a aussi prévu des boîtes vides qu’elle remplit de phrases, selon les saisons, elle sait bien les moments où il faut les assembler, elle fait confiance au jour qui se lève pour soulever les rêves, les transformer en réalité. Le matin elle tire l’eau du puits pour laver ses doigts aux couleurs de l’encre de ses stylos, le crayon de papier est pour ses incertitudes. Elle écrit dans le silence des bruits de la nature. Elle est assise devant la table. Ses lettres tremblent à la lumière de la flamme de la bougie, comme un enfant qui apprend à former les lettres avant de les assembler, rien n’est régulier, rien n’est droit. Si la pluie s’infiltre à travers les vieilles tuiles du toit, si les mots des cahiers sont mouillés, elle les attache aux branches du vieux poirier pour les faire sécher.

Le fermier qui lui a vendu la maison lui avait dit vous prenez des risques, elle est inhabitable. Ici tout est vieilli aux couleurs des saisons, du temps qui passe, les vaches viennent piétiner tout autour de la cour, la terre est d’argile, mouillée l’hiver, craquelée l’été. Il faut traverser les prés, enjamber les barrières, se glisser sous les fils barbelés ou les clôtures électriques ; à l’intérieur tout est à refaire, il y a du foin entassé là depuis des années un vrai nid à vermine, les chouettes, les hiboux s’installent, y font leur nichoir, et les insectes, les rongeurs vous y avez pensé ? Et le toit, vous y avez pensé au toit ? Personne n’a jamais habité dans cette maison, c’était juste un lieu de repos où entre les travaux les paysans venaient se reposer, y manger leur casse-croûte. Au fil des années c’est devenu une espèce de grange à foin, un abri pour les outils dont plus personne ne se sert aujourd’hui. Alors elle lui avait dit oui, je sais. La modernité a tout effacé de ce style de vie, mais les vaches et leurs veaux font le lien avec le passé, l’herbe continue de pousser pour les nourrir faisant fi du soi-disant progrès et la maison elle me plaît c’est la maison de mes rêves.




A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.

2 commentaires à propos de “#écopoétique #05 | Entre rêve et réalité”

  1. « Elle a aussi prévu des boîtes vides qu’elle remplit de phrases, selon les saisons, elle sait bien les moments où il faut les assembler, elle fait confiance au jour qui se lève pour soulever les rêves, les transformer en réalité.  » Quel beau coup de folie qui a le mérite de tout faire recommencer à zéro, avec la conviction de faire un choix personnel au défi de ceux qui ont abandonné la place .C’est le moment de chanter du Ferrat… Bien sûr, les animaux en ont profité pour faire leurs petites affaires, et alors ? Le toit ? Le toit ça se répare comme le reste, c’est la priorité, bien sûr, il faut des sous… Le puits ? C’est dangereux, il faut faire analyser l’eau, ça aussi c’est possible… Des capteurs solaires ? Des chenaux pour récolter l’eau de pluie ? De petites barrières pour inviter les vaches à piétiner un peu plus loin ? D’ailleurs elles sont à qui ces Demoiselles ? Une verrière pour profiter de la lumière ? Votre petite maison oubliée au bord de la forêt est la maison du petit chaperon vert qui n’a pas peur du loup, ni des saisons… Il va falloir trouver de l’aide pour continuer à écrire à l’intérieur qui est si chaleureux. Nathalie SARRAUTE n’écrivait-elle pas dans un poulailler ?

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