#écopoétique #04: Un confetti de béton

Sans prévenir, ça a commencé par une petite pelleteuse pas très large avec sa petite pelle et sa petite cabine dans laquelle il y avait un petit être humain augmenté d’un gros casque anti-bruit. Elle est entrée par la petite porte en bois bleu clair, ouverture dans un mur de pierre pas très haut entourant une propriété de bout de lotissement. La petite pelleteuse était bruyante, on tâchait de l’ignorer, n’étant pas curieux de ce qui se passe chez les voisins. Cependant étonnés de n’avoir pas été prévenus, on devinait un coup fourré, une petite honte du propriétaire qui l’avait entraîné à se taire. 

Le lendemain est arrivé un camion-benne énorme et d’autres petites pelleteuses. Puis il y a eu les tronçonneuses et l’on entendit tomber le grand figuier, celui qui nous donnait des kilos de figues à chaque début d’automne, à nous, ceux du quartier, ainsi que les amis et la famille quand les voisins n’étaient pas là et nous avaient confié la clé. Chacun connaissait le grand figuier. Le grand figuier est tombé, débité en tranches, couvert de figues presque mûres. Il est évident qu’un ballet avait commencé, de pelleteuses, de camions arrivés vides et repartant pleins d’une énorme quantité de terre brune, qui formait un dôme dépassant des bords de la benne, et l’on ne pouvait ignorer maintenant que de l’autre côté du mur, la terre était chaque jour davantage éventrée. Cela a duré des jours, des tonnes de terre, des litres de gasoil, des quantités de bruits de moteur superposés les uns aux autres, de l’air irrespirable, on avait deviné qu’une piscine était creusée.

Une piscine ! Alors qu’on sortait encore d’un été sec, un été de feu, d’ailleurs entre notre village et celui d’à côté quelques hectares de pins et chênes blancs avaient flambé, que nous avions regardés les uns désespérés, les autres en prenant des photos à la tombée de la nuit, certains presque fiers d’avoir vu le feu de loin en arrivant par la colline.

Puis est venu un camion toupie et sans doute quantité de petites pelles transportant le béton puisque le camion ne pouvait entrer sur le terrain, mais on avait fermé les rideaux comme si ce geste de ne pas voir pouvait éviter toute souffrance. Le ballet continuait, avec pour soliste le béton, qui devait tapisser la plaie, définitivement emmurer les quelques racines qui auraient pu rester, et qui promettait au futur baigneur des joies indicibles et paradisiaques. Les voisins commençaient à se réjouir et nous ont dit avec un large sourire le mot fameux : piscine. Nous savions cependant qu’ils pensaient vendre et partir, et donc qu’il s’agissait avant tout d’une opération financière. Mais nous gardions tant bien que mal le sourire, les bonnes relations primant sur toute discussion. Peut-être que c’est le point faible, sur lequel il faudrait maintenant travailler, c’est-à-dire ne plus se taire. Mais comment faire quand on a décidé d’être non violent et d’éviter toute guerre, à commencer par les guerres de famille et les guerres de voisinage, non pas pour montrer l’exemple car nous n’avons pas beaucoup d’efforts à faire ayant la chance d’être exonérés de grandes guerres, mais pour se tenir droit et se respecter soi-même. Paradoxe : se taire, ce n’est plus se respecter soi-même, ce n’est plus respecter la terre, ce n’est plus nous respecter tous, ce n’est plus respecter ce monde que nous formons ensemble. Devons-nous entrer en guerre sur les petits terrains privés ? Devons- nous entrer en guerre sur notre terrain quotidien ?

Le tour de la piscine fut également bétonné, puis carrelé de beau carrelage gris imitant la pierre dans la grande tendance du moment. Le ballet des machines des décibels et du CO2 s’est calmé, relayé par celui des pisciniers qui venaient avec des petites fourgonnettes diesel régler les moteurs les pannes les filtres car les voisins se plaignaient, ça ne marchait pas très bien. La piscine posait des problèmes. Quand elle fonctionnait, on pouvait faire dans cette piscine trois brasses et demie dans le sens de la longueur une brasse et demie dans le sens de la largeur, et ce problème de la demi-brasse faisait que ce n’était vraiment pas un endroit où déplier son corps en paix. Il y avait également une bonne longueur de dalle recouverte de trois centimètres d’eau, sans doute pour se faire bronzer avec le dos au frais, à moins que cachant un morceau de rocher qu’on n’aurait pu faire exploser, le mystère reste entier, les hypothèses sont ouvertes. On pouvait y regarder le ciel en tâchant de s’abstenir du bruit du moteur qui remuait l’eau pour envoyer les saletés vers le filtre. Les saletés, ce sont des feuilles d’olivier, de magnolia, des insectes, et une fois tout au fond de l’eau une salamandre. Morte, noyée. Le “on” est une projection, car toute invitation à « se baigner », ou étaler sa serviette sur ce carrelage qui étouffait la terre, était systématiquement refusée. La piscine servait à la femme, car l’homme préférait son jacuzzi, il détestait les piscines. La femme s’ennuyait seule dans sa piscine. Il lui faudrait rapidement trouver un nouveau projet pour réveiller son appétit de vie. 

Nous, nous en étions à deux bruits de moteurs permanents : piscine, jacuzzi.

Le jardin d’ à côté était réduit à quelques mètres de pelouse arrosée l’été, menant les pieds nus de la dame à du sol bétonné.

L’arbre était mort.

Le sol était mort.

Nous avons depuis planté un figuier dans notre jardin contigu, pensant à tous les oiseaux qui venaient se nourrir à côté, mais il a bien du mal à pousser, il fait trop chaud.

Seul un vieux figuier était capable de résistance.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

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