#écopoétique #03 | Les jardins du Covid, impressions.

Remontant la pente qui nous mène aux jardins partagés du Morillon, Marc et moi ne regardons que nos pieds. Nous allons ahanant, soufflant les yeux baissés sur l’asphalte, tout au plus sur les herbes folles qui jalonnent le bas côté. Sûrement, au-dessus de nous s’étend la tonalité bleu gris du ciel. Nous sommes en début de printemps, il n’en parait rien. Nous sommes en Haute-Savoie, aux abords du lac Léman, la montagne n’est pas loin et le printemps différé

Depuis l’épidémie de Covid imposant un périmètre de sortie restreint, nous avons pris l’habitude de nous retrouver régulièrement pour une balade en commun, explorant les possibles points verts qui nous sont autorisés. Marc se munit d’une thermos de café. Nous ferons halte malgré la froidure, et pourrons fumer une cigarette derrière une tasse chaude. Marc est libraire et tout nouvellement célibataire. Quelque soit la destination, il profite de ses excursions pour épancher son trop plein d’homme récemment délaissé et regarde peu ce qui l’environne. C’est moi qui ai soumis l’idée des jardins partagés, mon spot du moment.

Après avoir franchi la voie ferrée, laissant l’usine des eaux de Thonon sur notre gauche, une dernière boucle avant d’arriver au replat, les jardins ne sont plus très loin. Marc avance d’un pas irrégulier et poursuit ses diatribes maintenant dirigées contre son patron. Nous atteignons notre but et dévalons le long des jardins en colline. Je m’arrête ou mon regard s’arrête, sur telle ou telle parcelle laissée vacante, quelques choux montés, l’idée vague d’une allée, imagine son locataire décédé ou plus en mesure de la cultiver. Toutes les parcelles présentent la même superficie. Toutes sont dotées d’un point d’eau et d’un cabanon, ainsi que le mentionne le site de la ville. Pour certaines, la terre vient d’être retournée et offre à l’air frais ses luisances. D’autres sont encore pourvues de quelques derniers légumes. Certaines privilégient une approche esthétique, allées organisées bordées de pierres, ardoises ou briques, pas japonais, ici et là, quelques lumignons. Sur d’autres encore une terrasse a été aménagée. Elles paraissent conçues pour l’accueil, le thé à la menthe des après-midis en famille, l’anisette du soir entre amis. Chacune pour peu qu’on s’y attarde, semble porteuse d’une histoire contenue entre déshérence et lieu d’asile. Le site municipal évoque lui des « jardins familiaux » répartis sur trois lieux. Il est mentionné que non seulement le bénéficiaire, ou futur bénéficiaire, disposera d’une « parcelle de culture potagère », mais s’engage dans le même temps à entrer dans une action de lien social s’inscrivant dans une perspective interculturelle et intergénérationnelle, dans le respect de l’environnement et le souci de la biodiversité. Le jardin devient un espace politique. 

Pour l’heure, mon compagnon et moi poursuivons notre déambulation. A l’usage, il semble peu sensible à ce qui l’entoure, tout accaparé qu’il est par ses soucis personnels. Il attend sans doute que nous nous arrêtions pour une pause cigarette. Dans cette période du Covid, nous venons ici dans un même désir d’horizon augmenté. Nous résidons en ville et en appartement. Nous venons en curieux, comme on va au zoo. Nous venons nous promener tenant en laisse des rêves périurbains.

A propos de Stéphanie Buttay

L'écriture accompagne depuis toujours ma pratique du dessin et de la couture. Voire, elle les précède : création de livres d'artistes notamment avec l'ami poète Werner Lambersy. Représentée au Musée de la création Franche à Bègles et au Prieuré Saint Cosme pour le Livre pauvre, j'ai publié aux éditions du Carnet du dessert de lune et dans la revue Cabaret.

2 commentaires à propos de “#écopoétique #03 | Les jardins du Covid, impressions.”

  1. La sobriété de votre texte m’inspire de l’approbation. La distance qui sépare votre protagoniste ( personnage ?) Marc, et ce qui l’entoure ( dont le « Je » ( personnage) donne à penser sur la situation et le moment précis décrits. En remarquant dans votre présentation Les Carnets du dessert de lune, je ne peux pas m’empêcher de penser aux beaux légumes que l’Ami Jean-Louis Massot, éditeur français retraité en Belgique nous montre très souvent en même temps que ses coups de coeur littéraires et musicaux, sur sa page Facebook . A chaque jardin réel ou virtuel son histoire, en effet. C’est comme un livre à lire en passant qui a des contours et des barrières… https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=JEAN+LOUIS+MASSOT+LES+CARNETS+DU+DESSERT+DE+LUNE&mid=84771BDE4C7BB94BC64684771BDE4C7BB94BC646&FORM=VIRE

  2. Merci pour votre appréciation Marie-Thérèse. Oui, Jean-Louis est un ami. Nous avons fait deux livres ensemble du temps où il était éditeur, et moi en tant qu’illustratrice, Coup de ciseaux avec Perrine Le Querrec, et La dernière pierre avec Christine Van Ecker…longtemps que je ne l’ai pas vu, depuis que j’ai quitté Paris. Bonne soirée !

Laisser un commentaire