#écopoétique #03 | l’ensauvagement utile

Il n’y a rien de plus infidèle qu’un jardin d’agrément et de plus ingrat qu’un jardin potager ! Cette réflexion ne vient pas d’un jardinier réel mais d’un contemplatif désireux de ne plus intervenir sur l’agencement de la Nature. Un sourire un peu las au coin de sa barbe hirsute, une cigarette plate roulée au coin des lèvres, il a pratiqué autrefois la permaculture avec des cornes de vache remplies de bouse et d’ingrédients chamanes, il a fait l’indien dans des huttes de sudation. Il en est revenu, ou plutôt il a poussé la spiritualité plus loin, du côté des religions imparfaites car criminelles. Il prie des femmes dans les chapelles et les églises marginales dont l’état immobilier est de plus en plus précaire. Les croyances s’effritent comme le reste. Il n’y a pas de miracle dans ces domaines. Aujourd’hui, il préfère marcher et manger ce qu’il trouve le long des chemins, et dans les jardins généreux des autres contemporains. Il sait que tout cela est éphémère…

Elle fait peur la Nature… Enfant, je n’avais pas peur des arbres et puis ils se sont mis à tomber comme des bâtons de mikado, de plus en plus souvent, ou tout au moins les reportages se sont multipliés et rassemblés dans des flash d’infos, juste le temps de s’apitoyer et de zapper, on se dit que ça peut arriver, on ne sait pas quand, ni où. Il y a des tas de gens qui vivent dans des régions dangereuses et qui s’y habituent en priant le ciel de ne pas leur tomber sur la tête. Pareil pour les épidémies, pendant longtemps, elles ont été confinées en des régions lointaines et défavorisées. Aujourd’hui , l’idée de Pandémie a tracé ses circuits et ses nouvelles normes de promiscuité et de sécurité sanitaire. Elle a réhabilité les contrôles stricts aux frontières et ostracisé des nations ou des communautés entières. Enfant, je n’avais pas peur des maladies, on en parlait beaucoup, mais c’était chez les autres, et on croyait au pouvoir médical. Enfant , je n’avais pas peur de l’eau de boisson, on avait des combines lorsqu’elle se mettait à couler glauque… La chimie paternelle résolvait (presque) tout… Enfant, je n’avais pas peur des animaux ordinaires tels que les chiens et les chats, les oiseaux et les poules, les lapins et les mulots… On vivait avec, on avait lu le Petit Prince… Enfant, je n’avais pas peur du ciel, aujourd’hui, je rejoins sans rire les superstitions gauloises… On ne sait pas ce qui peut nous dégringoler sur le crâne. Enfant , je ne savais pas que le Monde allait autant changer et tout chambouler. Enfant, je croyais que les guerres ne reviendraient plus…

Tu me croiras si tu peux. Les paysages sont inépuisables et ils ne racontent pas la même chose à chacun.e d’entre nous. En lisant le dernier livre d’Amélie NOTHOMB, L’impossible retour, tu te prouves à chaque page que nos visions et nos projections mentales respectives sont inconciliables. Interroger la beauté d’un paysage en présence de quelqu’un d’autre, c’est l’édulcorer d’avance et le réduire à sa portion pingre…C’est la fameuse question du « point de vue » qu’ont souligné les premiers photographes. Une question de focale et de lumière mais pas seulement. A une époque où on zoome à mort pour traquer l’infiniment petit et l’infiniment petit, l’oeil humain paraît infirme et empêtré dans son empan étroit…Certains poètes comme Bernard NOËL, imaginait même un regard scrutateur dans son dos pour l’aider à concevoir l’espace, celui du dehors comme celui du dedans. Il faut préciser aussi qu’il avait lu Henri MICHAUX et ses expérimentations d’écriture sous substances psychotropes. Quelqu’un s’interrogeait dans le Tiers Livre, à propos du Réel, Gilda , je crois…Elle rouvre ta propre question sur l’utilité ou non du voyage, pour savoir à quels paysages nous pouvons nous arrimer ou nous amarrer pour écrire … Pour vivre, a-t-on besoin de le savoir ? Il semble que pour la plupart des gens, le choix n’existe pas.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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