Vers une éco-poétique éthique # 00 | Le silence des pères #01 #02 #03 #04 #05 #06 #07 #08 #09 #10

Ce cycle d’atelier hebdomadaire entre à voix pleines sur des préoccupations que la littérature et les médias ne cessent d’amplifier. Il nous oblige à déambuler entre lectures et écritures et à réactiver nos capacités de réflexion personnelle et collective pour envisager la prise de conscience autant que l’action au quotidien. Ce n’est pas un chemin facile puisqu’il requiert une grande capacité d’écoute et de partage. Poétique par goût. Ethique par nécessité.

SOMMAIRE provisoire

00# | LE SILENCE DES PERES

# 01 | Silence on tourne

#02 | l’Art volontaire et le Vol

#03 | L’ensauvagement utile

#04 | Intempestive effluve

#05 | L’infatigable misère sociale

#06 | La chasse au « Ô ».. oh…oh… oh !

# 07| 50 Nids pour Nini

# 08| Traversée de la Vie

# 09| Je reste iCi

# 10| Obsidienne Oeil de Ciel

#00 LE SILENCE DES PÈRES

Elle les regarde presque avec compassion, car ils sont nombreux les hommes taiseux, qui ont été gueulards et vantards à une certaine période de leur vie. Il n’est pas question de les juger ici, ce n’est pas le lieu, mais de mieux comprendre leur évolution en partant de leur petite enfance et des suites. En décrire quelques aspects. Il existe aussi des hommes qui n’ont jamais élevé la voix, qui n’ont pas osé, parce que leurs cris éventuels ont été étouffés par les circonstances. On apprend le silence comme on apprend le reste, sous la houlette d’adultes tutélaires. Les enfants d’aujourd’hui ne le supportent plus.Leurs cris sont impérieux et perçants. Ils reproduisent pourtant ce que les grands dominants veulent, ce qu’ils sont, ils les imitent même à contre-sens. Par contraste, il n’y a rien de plus mystérieux qu’un silence parfaitement entendu et rempli de sous-entendus. C’est celui -ci qui est le plus fascinant.

Dans le film prodigieux Le grand silence de 2006 que M. a revu plusieurs fois avec la même émotion, il est question d’hommes qui se taisent ensemble ou psalmodient des paroles ultra-codées destinées à un père fantasmé tout puissant, des hommes en prière presque permanente, qui vivent en autarcie et acceptent une réclusion qui les coupe physiquement de la civilisation (seulement en apparence). Comment ne pas penser à un refuge, à une fuite volontaire dans l’allégeance imaginaire qui leur épargne l’inconvénient ou la douleur d’avoir à frayer réellement avec la violence du monde et de leurs propres pulsions négatives. Dans un lieu où l’absolution par le travail et l’abnégation sont ritualisées, le silence est le grand ordonnateur de l’obéissance générale, la garantie d’une paix sépulcrale.Lorsque ces hommes ont le droit de parler , seulement en dehors du monastère, ils se comportent comme de jeunes enfants piailleurs en des jeux foufous et des rires désincarcérés. C’est parfaitement troublant.

Les grands-pères revenus du front ne parlaient presque plus dans leur famille. Cela ne se raconte pas la guerre sauf entre initiés, il faut y être pour ne pas blablater. Le silence intérieur n’existe plus, il est truffé de mitrailles et de trouilles viscérales revisitées dans les cauchemars nocturnes ou les délires irréversibles. Le regard des anciens soldats les plus impactés ressemble à un naufrage invisible. Le silence est d’or et il doit rendormir à tout prix l’horreur réellement vécue. Les femmes le savent, qui se taisent aussi, pour ne pas avoir à reprocher à ces hommes leur propension aux combats et leur impuissance sexuelle résiduelle. Les choses dont on ne parle pas…On l’appelle « La grande muette » cette armée qui fait taire.

Le silence du père à la fin de sa vie. Comme vidé de toute sa mémoire ancienne pour ne pas avoir à ressasser tout le perdu. C’est un silence d’enfant résigné et faussement indifférent à ce qui l’entoure. La vieillesse lui a donné des atouts. Il n’a plus de comptes à rendre. Il essaie d’être poli, au minimum, merci ! Mais la plupart du temps il reste dans sa bulle et a oublié les convenances. Il ne sourit qu’aux enfants et aux chiens qu’il cajole dans la rue , vieux séducteur, il fait des œillades aux belles infirmières et ignore les autres. C’est un silence « éloignateur » qu’il cultive éhontément. M. lui en fait parfois le reproche en plaisantant : – Tu pourrais quand même faire un effort, ce ne sont pas tes bonniches tout de même ? Mais il a toujours fonctionné ainsi, il est de la vieille école, les bonnes femmes contentes ou pas contentes, ça doit suivre et il n’y a rien à changer là-dedans. Attention, papa ! Les filles ne sont plus les mêmes aujourd’hui, elles ne se taisent plus, tu vas morfler si tu continues, ce n’est plus toi qui commandes… Mais il s’en fout. Il est devenu grand comédien de son propre rôle en vieillard acariâtre et plaisantin. M. soupçonne quelque chose de plus douloureux en dessous. Il s’apprête à partir et ne veut rien avoir à regretter, les jeux sont faits. Le grand silence se profile derrière ses yeux au bout de leur acuité sentimentale. C’est un grand moment existentiel que de voir un père mourir dans le silence environné d’oiseaux d’un mois de Mai aux coquelicots. Aujourd’hui, c’est son anniversaire, il aurait eu 94 printemps.

Il est des jours

Où nous nous sentons de nuit…

Il est des jours

Où nous nous sentons de nuit

.

Vaquant à nos affaires

Mais le jour nous est un pays étranger

.

Les mots qu’on nous adresse

Ont trop de lumière

.

On leur répond d’un silence

Noir

.

Ce n’est pas affaire de tristesse

Ni de fatigue

.

La nuit simplement est restée

Dedans

Jean-Pierre Siméon, 

 A l’intérieur de la nuit. Images de Yann Bagot, 

Cheyne éditeur, 2021.

#01 SILENCE ON TOURNE

Elle dit : – la Nature fait de nous ce qu’elle veut…  Elle incline le dos pour ramasser les débris boueux autour de sa maison, elle relève de temps en temps la tête pour répondre au journaliste. On ne voit pas le micro ni la caméra. Cette jeune femme en tenue souillée, semble plus affairée qu’atterrée, l’heure est à l’action incontournable. D’autres silhouettes furtives, regards détournés, s’agitent lentement autour d’elle. La séquence très ciblée n’aura pas duré plus de trente secondes. La télé coûte cher et ce n’est pas là qu’on pourra placer des publicités pour les nouvelles bagnoles …  Celles que l’on aperçoit sont enchevêtrées sous des marmelades de murs effondrés ou des troncs d’arbres mêlés à des tôles informes engluées dans la terre liquide. Violents orages, suivis de pluies torrentielles, la rivière et les canalisations ont débordé. Lui, nous montre jusqu’où l’eau est montée en désignant une différence de couleur sur le mur, 1m50 à l’intérieur ! Derrière lui des objets et des appareils électroménagers pêle-mêle, inutilisables en l’état, peut-être définitivement. On ne parle pas de çà pour l’instant… On se demande pourtant à leur place comment sortir de ce bourbier et toute question supplémentaire risque de faire déborder la colère ou les pleurs. On dose ce genre d’images sur l’écran. Il ne faut pas effrayer le téléspectateur… juste vendre un peu d’émotion de catastrophe. L’alibi implicite : rallier les empathies spontanées et les aides de secours. Une image vaut mieux que de longs discours. C’est compter sans la saturation de telles images et du « on s’en fout- c’est pas nous » enfantin chanté au passage de la sirène des pompiers. Les bateaux pompiers dinghies ne font pas de bruit , ils évacuent les plus vulnérables en premier. Trente secondes pour dire le désarroi, le désespoir et la mouise des victimes d’inondations brutales n’est pas suffisant. Cette fois là, on n’ indique aucun numéro d’appel pour recueillir des dons, on attend le bilan officiel pour répartir les dégâts entre les assurances et les subventions locales, régionales ou plus rarement nationales. On sait déjà que beaucoup y perdront de leurs revenus et de leurs épargnes. Les plus démuni.e.s n’auront que leurs yeux pour pleurer et attendre de l’aide publique hypothétique. La solidarité s’arrête là où recommence le chacun.e pour sa pomme et son petit panier perso. Certains resteront en dette pendant des années, ayant perdu leurs biens et devant continuer à rembourser leurs crédits. On parle d’eux brièvement, ils ne seront plus aussi « naturellement » dans la ronde des spéculations capitalistes. On ne prête qu’aux riches et aux ambitieux… Dans les yeux des perdants, se lit l’hébètement et la colère sourde, l’abattement en première intention involontaire…De la désolation en bandes désorganisées… Le journaliste lève vite le camp… Il a fait son job …  Show must go on…

#02 L’ART VOLONTAIRE ET LE VOL

Il dit en soupirant : – Elle ne veut pas jeter les choses… Il ne sait pas trier ce qu’elle pourrait jeter s’il ne prenait pas toujours l’initiative et le faisait à son insu. Elle s’est foutu plusieurs fois en pétard contre cette attitude contestable. Elle remplit volontiers les poubelles pourtant et c’est bien lui qui les descend au sous-sol pour rejoindre son vélo. Au début, il y avait une colonne vide-ordure (c’était la mode) à chaque étage. La gardienne se coltinait le nettoyage de ce qui débordait invariablement. La suppression du vide-ordure dans les six immeubles de résidence de 4 à 6 niveaux lui a donné du temps pour autre chose, et notamment la disponibilité envers les personnes âgées délaissées par leur famille. Les odeurs nauséabondes n’ont manqué à personne et tout le monde s’y est mis pour le tri sélectif première mouture. A la sortie du lycée, elle avait tenté les Beaux-Arts et elle s’était mise à ramasser toutes sortes d’objets dans la rue pour préfigurer les idées d’installations préconisées par des professeurs très férus d’Art contemporain aux prises avec la société de consommation  avec ses montagnes de déchets non recyclés encore à cette époque. Elle préférait pourtant le dessin et la peinture, mais elle n’a pas eu le choix cette année là. Elle s’est mise à trier des objets et à en faire des petits tas dans les angles d’un appartement  partagé en coloc. Elle les a photographiés et intégrés dans des compositions aux thématiques étranges. Elle est même allée prélever un arbre chu dans une tempête pour l’installer tout arcbouté sur un socle des plus rustiques… une sorte de catapulte domestiquée.. Elle n’a jamais voulu montrer son œuvre aux parents, elle avait trop honte… L’année suivante elle s’est inscrite en fac de langues. Elle était dégoûtée… Une voisine un peu folle avait volé la clé de l’accès au sous-sol, et elle est longtemps venue, de nuit, récupérer les papiers et les prospectus dans les poubelles triées, pendant un moment, elle a même pu accéder aux boîtes aux lettres pour voler du courrier…  La colère a monté dans le voisinage et une enquête a été ouverte. Elle vivait avec sa vieille mère un peu complice, un peu dépassée, on n’a pas trop su… La voleuse traquée et admonestée est devenue plus maline, elle disait que la gardienne faisait mal son boulot dans la Résidence, justifiant ainsi ses interventions… Mais son statut psychiatrique lui a valu quelques semonces et parfois des hospitalisations d’office. Les boîtes aux lettres trop vulnérables ont été changées et on a installé une serrure sur la porte d’accès de la cave au hall d’entrée. La voleuse de papier, impénitente, revient de temps en temps prélever les prospectus en journée, tandis que l’alentour, essentiellement des retraité.e.s , s’arrangent entre eux pour récupérer leur courrier au passage du facteur. La plupart d’entre eux ont mis une étiquette de refus des publicités sur leur boîte au nom de l’écologie puisqu’il existe une boîte centrale pour rassembler tous les papelards de marabouts, de prospecteurs immobiliers et de chaînes de grands magasins … La quantité a diminué depuis les réseaux internet et chacun.e se débrouille avec ses pollutions numériques dans son coin en achetant des protections de compte personnel de plus en plus chères et invasives. Les distributeurs de prospectus avec leur petit chariot à deux roues ne viennent plus aussi souvent encombrer les boites aux lettres, et personne ne s’en plaint…

Un vieux texte que j’ai gardé.
Je ne jette jamais mes textes.
Je les oublie…
Je les retrouve et je les modifie.

Je ne les perds jamais tout à fait.
Ce sont les squames de ma mémoire endormie.

#03 L’ENSAUVAGEMENT UTILE

Il n’y a rien de plus infidèle qu’un jardin d’agrément et de plus ingrat qu’un jardin potager ! Cette réflexion ne vient pas d’un jardinier réel mais d’un contemplatif désireux de ne plus intervenir sur l’agencement de la Nature. Un sourire un peu las au coin de sa barbe hirsute, une cigarette plate roulée au coin des lèvres, il a pratiqué autrefois la permaculture avec des cornes de vache remplies de bouse et d’ingrédients chamanes, il a fait l’indien dans des huttes de sudation. Il en est revenu, ou plutôt il a poussé la spiritualité plus loin, du côté des religions imparfaites car criminelles. Il prie des femmes dans les chapelles et les églises marginales dont l’état immobilier est de plus en plus précaire. Les croyances s’effritent comme le reste. Il n’y a pas de miracle dans ces domaines. Aujourd’hui, il préfère marcher et manger ce qu’il trouve le long des chemins, et dans les jardins généreux des autres contemporains. Il sait que tout cela est éphémère…

Elle fait peur la Nature… Enfant, je n’avais pas peur des arbres et puis ils se sont mis à tomber comme des bâtons de mikado, de plus en plus souvent, ou tout au moins les reportages se sont multipliés et rassemblés dans des flash d’infos, juste le temps de s’apitoyer et de zapper, on se dit que ça peut arriver, on ne sait pas quand, ni où. Il y a des tas de gens qui vivent dans des régions dangereuses et qui s’y habituent en priant le ciel de ne pas leur tomber sur la tête. Pareil pour les épidémies, pendant longtemps, elles ont été confinées en des régions lointaines et défavorisées. Aujourd’hui , l’idée de Pandémie a tracé ses circuits et ses nouvelles normes de promiscuité et de sécurité sanitaire. Elle a réhabilité les contrôles stricts aux frontières et ostracisé des nations ou des communautés entières. Enfant, je n’avais pas peur des maladies, on en parlait beaucoup, mais c’était chez les autres, et on croyait au pouvoir médical. Enfant , je n’avais pas peur de l’eau de boisson, on avait des combines lorsqu’elle se mettait à couler glauque… La chimie paternelle résolvait (presque) tout… Enfant, je n’avais pas peur des animaux ordinaires tels que les chiens et les chats, les oiseaux et les poules, les lapins et les mulots… On vivait avec, on avait lu le Petit Prince… Enfant, je n’avais pas peur du ciel, aujourd’hui, je rejoins sans rire les superstitions gauloises… On ne sait pas ce qui peut nous dégringoler sur le crâne. Enfant , je ne savais pas que le Monde allait autant changer et tout chambouler. Enfant, je croyais que les guerres ne reviendraient plus…

Tu me croiras si tu peux. Les paysages sont inépuisables et ils ne racontent pas la même chose à chacun.e d’entre nous. En lisant le dernier livre d’Amélie NOTHOMB, L’impossible retour, tu te prouves à chaque page que nos visions et nos projections mentales respectives sont inconciliables. Interroger la beauté d’un paysage en présence de quelqu’un d’autre, c’est l’édulcorer d’avance et le réduire à sa portion pingre…C’est la fameuse question du « point de vue » qu’ont souligné les premiers photographes. Une question de focale et de lumière mais pas seulement. A une époque où on zoome à mort pour traquer l’infiniment petit et l’infiniment grand, l’oeil humain paraît infirme et empêtré dans son empan étroit…Certains poètes comme Bernard NOËL, imaginait même un regard scrutateur dans son dos pour l’aider à concevoir l’espace, celui du dehors comme celui du dedans. Il faut préciser aussi qu’il avait lu Henri MICHAUX et ses expérimentations d’écriture sous substances psychotropes. Quelqu’un s’interrogeait dans le Tiers Livre, à propos du Réel, Gilda , je crois…Elle rouvre ta propre question sur l’utilité ou non du voyage, pour savoir à quels paysages nous pouvons nous arrimer ou nous amarrer pour écrire … Pour vivre, a-t-on besoin de le savoir ? Il semble que pour la plupart des gens, le choix n’existe pas.

#04 | INTEMPESTIVE EFFLUVE

Quelque chose d’implacable

qui saute aux narines

puanteur réhaussée

par les vents du sud

une fragance récurrente

par intermittence

une nuisance olfactive

connue depuis l’enfance

pas n’importe où

c’est juste à l’entrée du village

les touristes questionnent

on leur rit au nez discrètement

les gens sont habitués

la commune est viticole

et il faut bien gagner sa vie

une cinquantaine d’employés

on a déplacé la cave coopérative

neuf kilomètres plus bas

on a fait un gros truc promotionnel

combinant oenologie et vente directe

regroupement longtemps rêvé

assemblée de producteurs

la fautive n’était pas la cave

on le croyait avant

et c’est elle qu’on accusait

en Septembre et après

Souvenir d’un mal de tête

systématique à chaque retour

de pension ou de voyage

ça ne risque rien nous dit-on

c’est juste désagréable

et ce n’est pas tout le temps

Pour une bourgade touristique

tout de même ça la fout mal

disait ma mère ça n’existe qu’ici

Tu pourrais faire quelque chose Robert ?

Robert n’a sans doute rien fait

Oenologue de vocation

ce n’était pas son créneau

Il a soigné les Vins d’Ardèche

a introduit des méthodes Beaujolaises

et la technique de macération carbonique

il avait d’ autres odeurs à surveiller

Contraste des bons parfums de cave

ou au débouchage d’un bon crû

Enfance embaumée des choix paternels

Visites curieuses et sacralisées

au Laboratoire en dessous

de chez nous lui Directeur

en lien téléphonique avec Patrons à Montpellier

Magie des pipettes et des chromatogrammes

Analyses artisanales et scrupuleuses

La machine à écrire trépidante

de la secrétaire tapant sur double papier carbone

tous les résultats chiffrés avec des virgules

taux d’alcool taux de sucre aspect des échantillons

Aller -retour dans les quarante deux

caves du département pour récupérer

de petites bouteilles brinquebalantes

dans les casiers de bois

et les bonbonnes prometteuses

à l’arrière de la citroën -cargo

Les odeurs de cave sur terre battue

m’enchanteront toujours

Les odeurs de distillerie industrielle

n’ont pas su me convaincre

La Distillerie incriminée a beau défendre sa production nauséabonde en relookant les bâtiments et en créant de nouvelles utilisations des déchets ( gel hydro acoolique et colorants), je reste persuadée qu’elle n’a pas trouvé sa justification dans un emplacement contestable, entre le cimetière où reposent nos parents et un stade sans ombrage où l’on parque aussi des dromadaires et d’autres bêtes de cirque malheureux comme des cailloux.

#05 | L’INFATIGABLE MISERE SOCIALE

L’infatigable misère sociale

Il y a plein d’adjectifs pour la qualifier sans l’éradiquer.

Pas besoin d’aller très loin autour pour la trouver.

A la lisière de la capitale des Gaules

Délimitée par le périphérique sud – est

Elle ne se montre pas d’emblée hostile

Elle se devine pourtant aux grappes de dealers

Silhouettes fuyantes aux vêtements sombres

Casquettes à capuche regards sans regard ou appuyé

Défi larvé et bagnoles rutilantes crissement de pneus

Certains disent bonjour ils ont appris à la petite école

Ils en sont sortis sans diplôme ils ont trouvé mieux

Ils furètent et rouillent ou foutent la trouille

au bas des escaliers maussades

Ils ne se cachent pas et jouent à semer la police.

L’été les ados font des rodéos sans casque

Ce sont les petits frères, le filles rasent les murs

ou s’exposent en nymphettes insolentes et maquillées

Beaucoup sont voilées (plus qu’avant)

La religion fait le partage entre les comportements

Les mères protègent les petits mâles jusqu’au collège

Cela ne suffit pas en filigrane les dés sont pipés

Les jeunes qui croient au futur ont des ambitions

Toutes et tous ne sont pas logé.e.s à la même enseigne

Derrière eux la misère sociale s’organise en ghettos

Elle se confine dans ce vieux quartier au long passé ouvrier

Entre usines démantelées et hôpitaux déclassés

La destruction de l’autopont en 2018 a donné le signal politique

« zone de redynamisation urbaine  » tel est le message

Les artères philanthropiques de Tony Garnier

Boulevard des Etats Unis début XX° siècle

Cité Gerland – Longue Rue Berthelot

coupant l’agglomération entre Bron et le Rhône

 ont irrigué l’habitat et l’ont figé jusqu’à saturation

Sans ascenseur les ancien.ne.s  habitant.e.s

 n’y vieillissent plus ou y sont mort .e.s. peu à peu

La promotion immobilière a fait  imploser ces quartiers

annexés aux 3° et 7° jusqu’aux portes de Vénissieux

Ainsi le malheur social a trouvé refuge dans les plans

d’urbanisation toujours  insuffisants  et sélectifs

Un foisonnement de comités de quartier

débats houleux entre porte-parole délégués et médiateurs …

Les premiers représentant.e.s de locataires élu.e.s

remplacé.e.s demain ou après-demain par des propriétaires

Lissage et mixage des prétendant.e.s au logement

Recherche de salubrité et de solvabilité

Halte aux punaises de lit, aux rats et aux cancrelats !

Les projets bienveillants sont affichés

à longueur de palissades et de flyers

On y voit des gens actifs et heureux

 des commerces prospères et des services publics rénovés

Entre l’image et la réalité il y a des années de gravats

et de désillusions aggravées

 l’augmentation des loyers devient justifiable

par les normes écologiques et leurs effets de surcoût

Ce qu’on ne dit pas : Le Grand Lyon a besoin de s’étendre

et de rendre visible le commerce à haut débit

Il grignote peu à peu les terrains constructibles

On rachète même des villas des années 50 ou plus

On les remplace par des immeubles en co-propriété

Une part minime de logements sociaux pris d’assaut

L’heure est à la rentabilité.

Toute  misère sociale est reléguée

aux parcelles non encore démolies.

ça va très vite désormais

 le confinement avait retardé les destructions

mais tout se rattrape aujourd’hui .

On a observé la métamorphose du quartier Mermoz

coupé en deux par la ligne D du Métro et le T6 du Tramway.

Plusieurs années de chantier

« quartiers qui craignent » lit-on dans les journaux.

Jusqu’à la démolition des immeubles et de l’école Pasteur

Le centre social est devenu le point stratégique des infos.

La misère sociale s’affiche au fil des mois

La peau des murs la révèle

La couleur des visages aussi

Quartier Sud Quartier Nord

Concentration d’étranger.e.s

Primo arrivant.e.s  au gré des exils

Tout le brassage des populations s’accélère.

 Les logements sont trop étroits

La misère sociale s’installe dans les rues.

#06 | LA CHASSE AU « Ô ».. OH…OH… OH!

[…] Les pluies nomades venues de l’Est, tinteront encore au tambourin tzigane ; et les belles averses d’été, descendues de haute mer en toilettes de soirée, promèneront encore sur terre leur bas de jupe pailletées.

SAINT-JOHN PERSE, Sécheresse, Vents

Ici cette pluie n’a pas d’ombre ! On ne sait d’où elle vient Ce poète ancien l’encombre : exclamations béates, emphase désuète, arguties soporifiques. Manies intellectuelles, langage de salon, œuvre au pire louant tantôt la main de fer plus tard la vulnérabilité sensuelle de la femme. Pas de juste milieu.

Ô mélancolie de la pluie, analogie des larmes. Parole déferlante truffée de mots spécieux. Redoublement de la faconde. Complaisance à l’orage. Sauve qui peut. La pluie désacralise et tu le savais ! La pluie prend toute la nature de court. Parfois elle dévaste. Ne dit-on pas, une pluie de bombes !?

Ô générosité de la pluie, verseuse maladroite. Rigolade et dégringolades en ruissellements. Sur la vitre toc toc elle frappe au carreau. Voici des gouttes de ciel en exil. Les plantes dociles les réclament en été. La pluie exagère souvent en automne et de plus en plus à contre-saison. Ô déluge ogre humide et sans pitié.

[…] Ô menteur ! qui disait la vie

Nouée au fuseau de mon sort,

Jurant au ciel que son envie

Était de mourir de ma mort !

Échos sous le feu de mon âme ?

Tremblant de s’y brûler un jour,

Il jeta des pleurs sur la flamme :

Ô menteur ! ô menteur d’amour !

Marceline DESBORDES-VALMORE, Les pleurs, XVII, seule au rendez-vous

Le ciel jette des pleurs sur l’âme brûlante de Marceline. A moins que ce ne soit qu’une divinité implorée en rescousse à la chair désirante. Le lyrisme prend appui sur la Nature et se répand dans le poème comme une huile essentielle parfumée qui vire au vinaigre. Outil de séduction charme à double tranchant. Il s’agit pour elle de conjurer le sentiment de solitude et d’abandon. Tous les moyens sont bons. Dis-nous si ça a marché chère Marceline !

[…] Tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse.

La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde.

Paul CLAUDEL

Sous la douceur la convoitise percutante ! Le poème mondain n’échappe pas à l’intention voilée. Est-ce pour cela que je me méfie des mots câlins et coquins en habits de vocabulaire… et de cet exercice d’atelier qui nous ressert les mêmes plats pour maintenir l’ordre du monde entre prédation et captation des sentiments par commerce interposé. L’éternelle fiancée et le héros fatigué ne font plus rêver.

Ô, combien sont perméables les frontières humaines !

Voyez-vous ces nuages qui passent impunément,

ces sables du désert filant d’un pays à l’autre,

ces cailloux des montagnes pénétrant chez l’ennemi

en d’insolents sursauts

[…]

Dans l’essaim des insectes je prendrai la fourmi

qui, entre le pied droit et gauche du douanier

ne se sent pas tenue d’avouer ses vadrouilles

Wislawa SZYMBORSKA, De la mort sans exagérer

Quel que soit le sujet, le poème s’aventure depuis toujours dans l’indicible avec des ruses de sioux. Je ne lui en veux pas de ne pas me convaincre même si son chant m’hypnotise un instant. Comme les vertébrés le poème a des os ou des arêtes. Le poème est un cheval de Trois qui n’a pas d’architecte attitré.e. Il se reconstruit sans relâche et ne reste jamais au même endroit où il a surgi et où on l’a quitté. Le poème versifié a quitté la place et il est revenu non plus lyrique mais politique dans nos oreilles surchargées. Le slam d’aujourd’hui est le nouveau perturbateur citoyen. Il sera demain dans les manuels scolaires.

#07 50 NIDS POUR NINI

Je suis droit

Je suis gauche

J’écris avec mes poings

Sans virgules

Sans points

Sans coco

Sans pernod

Sans muselière

PAUL VALET, Sans muselière, à Vladimir Maïakovski 1949

Paul VALET bonne piste celle d’Amandine  ANDRÉ attendra L’écriture vient sans peine Comme un jeu mais sérieux Impression d’écrire acculée au mur des affirmations naïves. Dazibao en démocratie (encore) L’intolérance au Mal  immémorial est pourtant à l’intérieur imputrescible le sourire aussi L’exercice me plaît.

Les  Ni sont présentés par ordre d’arrivée sans relecture immédiate comme une langue morse pour un message inconnu lesté d’entropie Ce sont les premiers mots qui ont trouvé leur veine associative L’idée de « Nids «  vient de là  Des « Nids dénichés un à un Quant à Nini  vous ne m’en voudrez pas il me fallait bien un personnage…

Ni plainte

Ni mensonge

Ni feinte

Ni fuite

Ni promesse

Ni sanction

Ni conjecture

Ni masque

Ni certitude

Ni volte-face

Ni résolution

Ni serment

Ni perfidie

Ni indulgence

Ni aveuglement

Ni coups et blessures

Ni grimace

Ni gloriole

Ni Ange

Ni Bête

Ni Taureau

Ni Scorpion

Ni Vierge

Ni Gémeaux

Ni Balance

Ni Bélier

Ni Cancer

Ni Capricorne

Ni Poissons

Ni Lion

Ni Sagittaire

Ni fatalité

Ni dieu

Ni maître

Ni onction

Ni maléfice

Ni grivèlerie

Ni grossièreté

Ni insulte

Ni soumission

Ni surdité

Ni condescendance

Ni cruauté

Ni indifférence

Ni préemption

Ni abandon

Ni traîtrise

Ni Toi

Ni Moi

En sommes garant.e.s

#08 | Traversée de la Vie

#09 | JE RESTE iCi

Potier, si tu es perspicace, garde-toi de meurtrir la glaise dont fut pétri Adam !

Omar al-Khayyem, La corde de la sagesse

Ne n’inquiète pas, Gamin, je reste ici. Pour l’instant, je n’ai aucune envie de creuser à l’aveugle dans la matière qui gargouille et menace de s’effondrer sous mes pieds. D’autres le feront sans doute. D’autres l’ont fait et le referont. Il y a les fous de Dieu, et les fous dictateurs autoproclamés de la planète, index pointé sur le profit, la gloire et la vindicte perpétuelles.

L’intimidation par la perforation est une vieille habitude humaine, pour ne pas dire majoritairement masculine, surtout en ce qui concerne les explorations les plus folles et inédites ou les conquêtes de territoire. Les coups de boutoir sont innombrables. Les femmes le savent de toute éternité…

 Les guerres sont ivres de perforations.

L’I.A aujourd’hui est l’une des méthodes virtuelles triomphantes qui attirent les plus ambitieux, ou curieux, ou kamikazes de l’imaginaire matériel mis au service de Thanatos et de son frère ambigu Eros.

Creuser la matière pour lui faire dire quelque chose de nouveau ou la faire disparaître est une pratique immémoriale. La chasse au trésor est sa version la plus ludique.

 Le plaisir de percer à jour, nuit et jour ce qui résiste n’appartient pas à l’ordre de la raison.

 Percer et persévérer ont une consonance proche.

Un puits de pétrole ou une sonde excavatrice sont des modèles d’obstination.

Le jaillissement est un fantasme lucratif.

Poutine dit de Trump qu’il est un homme (courageux) parce qu’il a brandi le poing après s’être fait tirer dessus… Les autres sont des loosers ?

Tu vois bien que ça ne sert à rien de creuser. On retombe toujours sur les mêmes inepties, les mêmes rages, les mêmes convoitises, les mêmes postures de taupes ravageuses construisant des catacombes à cadavres.

Je ne devrais pas te dire les choses aussi directement, petit !…  Au risque de te faire bégayer d’effroi comme cet écrivain éperdu d’espaces de fuite. Mais je vois bien que tu joues aussi à creuser dans le vivant sur ta tablette switch comme s’il s’agissait de quelque chose d’anodin. Tu t’achètes des « vies » supplémentaires en écrasant les boutons de ta machine mais tu as bien vu le jour de l’enterrement de ton grand-père que la mort est un trou qu’on rebouche pour toujours. Nous étions pétrifié.e.s dans nos silences autour de toi, faisant barrage de nos corps devant la fosse…

Je sais l’angoisse, l’eau noire sous la glace et la surface menacée, une mémoire à se noyer. Quelque chose sourd du ciel si sourd. Accueillir de tout mon être le léger le nouveau, l’ailleurs. Plus rien ne doit peser

ICI, Philippe et Martine DELERM, Seuil, 2021.

Je me tais et je feuillette pour toi, ce livre élégant de Philippe et Martine Delerm. Je l’explore sans savoir où il va mener mes pensées du jour. Lui écrit, Elle dessine un personnage qui n’a jamais de bouche. Elle ne m’a jamais expliqué pourquoi. Elle croit sans doute que c’est un secret de femme. Eux se comprennent. Ils sont mari et femme. Ils ont mis au monde un chanteur pianiste poète, Vincent. Ils sont du côté de la douceur et de la tranquillité. Ils n’ont pas besoin de creuser la réalité, ils l’accueillent comme une invitée reconnue de longue date. Ils creusent à peine la surface des choses et des êtres. Ils en parlent pudiquement. Ils ne crient jamais. Cela me plaît.  J’aime ces familles d’artistes qui ont su transmettre leur créativité et qui aident à supporter les trous de l’existence, les trous de mémoire en particulier.

#10 | OBSIDIENNE OEIL CELESTE

Comme de l’eau sur une pierre

sur qui se retourne en quête de son ancienne quête
la nuit se ferme à lui comme l’eau sur la pierre
comme l’air sur un oiseau
comme se ferment deux corps quand ils s’aiment

ALEJANDRA PIZARNIK , EXTRACTION DE LA PIERRE DE FOLIE

Ce serait pour lui comme une religion aux rites païens. La passion des cristaux se découvre pendant l’enfance. Elle met longtemps à disparaître au profit d’autres attirances plus charnelles. Faire des ricochets sur l’eau reste un réflexe puissant devant une rivière longuement sertie entre des galets usés jusqu’au sable multicolore.

Tu lui as demandé avant hier, s’il n’avait pas une pierre noire à te recommander pour la décrire. La question exacte : Toi qui me connais, quelle pierre noire pourrais-tu m’attribuer ? Il n’ a pas hésité une seule seconde. Sur texto il répond : Ne te souviens-tu pas du coeur obsidienne oeil de ciel que je t’ai offert un jour en t’expliquant ses vertus puissantes ?

Tu te souviens du coeur et du geste de Noël après une longue séparation, mais tu as oublié peu à peu comment tu pouvais t’en servir. Tu consultes la Bible des minéraux, dans la bibliothèque de l’enfant d’aujourd’hui qui occupe sa chambre le mercredi, et tu confirmes immédiatement le caractère spirituel du cadeau filial. L’émotion d’un coup te monte à la tête. Offrir une pierre est une marque de considération qui n’a pas de prix.

Tu as égaré le coeur noir dans l’un de tes innombrables sacs (utérus) et ne le retrouveras plus bien sûr avant que le hasard des fouilles le remonte à la surface. Par amour et gratitude, tu as cru d’emblée au pouvoir de ce coeur sensuel au toucher, pendant une longue période, mais tu tenais chaque contact secret car on ne peut pas refuser une intention de protection aussi sincère malgré l’accueil ambivalent d’un objet aussi compact et muet. Ta fille ramenait parfois l’oeil de Fatma de ses pérégrinations à l’étranger… Et tu l’as gardé lui aussi. Enfants -cailloux !

Le magnétisme des pierres est visible. La magie des aimants le prouve. On s’en sert sur nos frigos où toutes sortes de magnets s’accumulent pour rappeler qu’on aime les images et les souvenirs de rien du tout, entre post-it et trophées de voyages. L’alphabet en premier, où s’écrivent les prénoms, les émoticônes des émotions, les gardiens de recettes de cuisine. Toute une vie commune sous des aimants.

Tu ne connais pas grand chose à la géologie, mais tu es amoureuse des pierres et des cailloux de rivière. Tu les fréquentes l’été sous de belles falaises de calcaire ajouré. Les dentelles superficielles de tout un monde souterrain beaucoup plus humide témoignent d’ères glaciaires et de transformations qui dépassent l’entendement, mais pas l’imagination. Ici, il y avait des lionnes, des aurochs, des ours de caverne et des mammouths. C’est bien sur les parois de roche calcaire, au coeur de grottes ténébreuses, munis de tisons et de mottes d’argile, que nos lointains ascendants les ont immortalisés. Tu as grandi non loin de la Grotte Chauvet sans savoir qu’elle existait. Aujourd’hui tu ne manques pas ta visite annuelle pour l’admirer.

Le coeur noir d’obsidienne est, me rappelle-t-il un bouclier. Ce serait un Romain Obsinus qui lui aurait légué son nom après sa découverte à l’état brut, en Ethiopie. Ce n’est pas une pierre rare puisqu’on la trouve aux Etats-Unis , au Japon; en Arménie, au Pérou, et bien sûr au Mexique… Elle est associée à l’action des chakras racines… C’est une pierre puissante qui doit être régénérée selon plusieurs méthodes que l’on trouve facilement sur internet (lit de quartz, pleine lune, soleil…), j’en déduis qu’il faut la soigner pour être soigné.e.s. Elle serait très puissante puisqu’elle induirait aussi l’introspection et ses chamboulements…

Une  » pierre inexplicable  » dirait peut-être l’écrivain volcanique Lionel Bourg qui l’a sans doute rencontrée dans sa propre quête au coeur des mines stéphanoises près desquelles il vit encore. Il faudrait que je le relise, car j’ai tout de suite pensé à lui lorsqu’il s’est agi de parler des richesses minérales et de leur contact. Tu vois bien que je mélange tout, et pourtant je sais que je m’approche de la valeur symbolique et sentimentale de ce que j’évoque. Les pierres ont de puissantes connections avec le vivant et ses outils.

70 à 80 % de silice, de fer, de magnésium, l’obsidienne noire provient d’éruptions volcaniques, elle est fille de lave figée, elle peut être rouge acajou. Elle a été utilisée et taillée pour ses qualités de tranchant ( lames, flèches, couteaux, armes…). Les Mayas Aztèques la réduisaient en poudre pour l’appliquer sur les plaies ( vertu cicatrisante). On la trouve aussi en France dans les fouilles préhistoriques.

Pierre d’ouverture spirituelle ou de défense contre le danger, l’obsidienne oeil céleste ne peut me laisser indifférente. Elle représente à la fois le temps et la permanence de l’esprit de guérison indissociable des destinées humaines. Je lui confère une valeur de grigri et de porte-chance lorsqu’elle a été donnée de manière chamanique, de la main à la main, dans un petit sac de velours. Je suis certaine de la retrouver intacte, après l’écriture de ce texte. Il suffira de fouiller dans mes archives sentimentales.

Je relie cette redécouverte avec un poème de Katherine Mansfield traduit de l’anglais par Jacques Ancet :

Tout au fond de l’océan

Gît un coquillage arc-en-ciel

Il est là, toujours, brillant paisiblement

Sous les plus hautes vagues des tempêtes

Comme sous les bienheureuses vaguelettes

Que le vieux Grec appelait ride de rire

Ecoute – tout au fond de l’océan

Le coquillage arc-en ciel chante

Il est là, toujours, chantant silencieusement .

# 11 |

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

6 commentaires à propos de “Vers une éco-poétique éthique # 00 | Le silence des pères #01 #02 #03 #04 #05 #06 #07 #08 #09 #10”

  1. merci Marie-Thérèse pour cette entrée en matière
    la désolation dont tu parles me touche à cœur pour l’avoir moi-même traversée il y a quelques années et on ne peut pas imaginer ce que ça fait vraiment quand ça n’a jamais arrivé pour soi…
    désormais je ne peux plus regarder ce genre de scène à la télévision, s’annonce une marée douloureuse d’images que je tente de chasser depuis longtemps…

  2. On se croise dans l’épisode #4 avec une distillerie commune (vignoble s différents), et des mots familiers comme « échantillons ».
    Foisonnement de formes où glaner, se promener. Bonne suite (je commence et vais aller à on rythme).

  3. Merci Isabelle et Nolwenn pour votre intérêt pour ce texte qui tente de décrire les protagonistes sans intrusion rajoutée. Aller chercher la parole de sinistré.e.s me parait souvent comme une violence supplémentaire. Retrousser les manches serait plus judicieux. Comme sur un champ de batailles, les journalistes ne sont là que pour prélever des secondes d’images  » des échantillons » qui n’expliquent rien et mettent mal à l’aise. Avec le vin heureusement on ne fait que traquer le nectar…

Laisser un commentaire