#anthologie #37 | Écureuils

JE VIS ce mur qui rebondit, ce mur rond qui fait un arc de cercle dans la petite salle au fond, la petite HK01, celle sans ordinateur et sans connexion, là où l’été fait trop chaud ; l’hiver trop froid et que personne ne veut, là on est mal et les élèves sont serrés. C’est là que Christian nous montre ce mur rond. Puis nous quittons la salle et entrons dans la salle à côté, la grande salle H202, la salle aérée, la salle avec plein d’ordinateurs, cette salle qui dans cette fin du mois de juin est attribuée au secrétariat du jury, elles sont là les secrétaires du jury, nous les saluons discrètement, saisies par cette angoisse de fin d’année, toute l’année qui retombe dans un vide intérieur comme la chute dans un puits sans plus appuis, et là sans rien dire, sans rien expliquer il ouvre une petite porte qu’on voit à peine dans le mur et qui mène sur un escalier étroit, il a une lampe que nous nous passons et nous utilisons aussi les lampes de nos téléphones portables. Nous montons les marches en escargot et de là nous sommes dans des couloirs serrés, des fentes dans les murailles de ce bâtiment, invisibles, voilà que nous sommes enfermées dans ce monastère du centre Ville, loin du Nord de la Ville, est-ce que des gens se cachent encore ici ? Au fond une ouverture sur l’extérieur, la lumière nous saisit à nouveau et on voit les arbres d’en haut, tout l’espace que ces micocouliers occupent même dans ce centre Ville si dense, et les bazars en face et le Bar du Peuple au coin, tout le quartier de Noaïlles qu’on n’entend plus d’ici, et le couloir devient un arc de cercle  et nous nous retrouvons dans les interstices de la coupole de l’église des Bernardines puis chapelle du lycée, puis bibliothèque du lycée, maintenant théâtre, au milieu de ce cercle, sur le côté interne de ce dôme quelques marches et une porte encore, nous montons, et avec la lampe Christian nous montre les fresques du dôme de la chapelle, invisibles depuis l’église maintenant que la scène du théâtre a recouvert cela.

Je VIS cet écureuil, il a grimpé le soir et il s’est installé sur son arbre, vit jour et nuit là, il se repose sur cette plateforme de bois, sorte de cabane volante, enfermé dans sa fourrure, museau de face,  enfermé dans son manteau, il est difficile de se refournir d’en bas, il faut compter sur l’arbre, il faut rester sur l’arbre, S’il reste quelques arbres, comme c’est le cas aujourd’hui, ça ne nous empêche pas de travailler à côté parfois il se laisse descendre comme par une corde, de loin ses installations suspendues ressemblent à  des drapeaux pris dans les branches, il allonge son corps qui suit la ligne de la branche, il fait corps avec la branche, corps avec son arbre, sorte de Baron perché, Le chantier se poursuit bien, il y a des travaux sur à peu près 40 chantiers du tracé, ça bosse partout, dans la pression, la traque a lieu à 6h45, le vent est à 70km/h, dans l’humidité du matin, les gendarmes se sont rendu au pied de l’arbre, dans les rafales de vent un homme crie, les camions de pompiers sont tout autour de l’arbre, l’écureuil perd ses appuis, il n’était plus redescendu, si ce n’est par cette chute finale.

JE VIS cette femme qui prend ma place les yeux dans le vide, sans dents, elle ne parle à personne ou alors pose des mots étranges dans la cour devant ce buffet de la rentrée, des mots qui retentissent un à un dans l’air, elle parle lentement, elle me pose des questions vaines, elle m’avoue sa méconnaissance, je vois moi-même à travers elle, je regarde les arbres qui survient dans la cour, malgré l’élagage violent du printemps et de l’été et ne peut que lui répondre par la douceur. 

A propos de Anna Proto Pisani

Passionnée par la création et l’écriture, j'ai publié des textes et des articles sur différentes revues et les ouvrages collectifs sur la littérature postcoloniale Les littératures de la Corne de l’Afrique, Karthala, 2016 et Paroles d’écrivains, L’Harmattan, 2014. J'ai créé et fait partie du collectif des traductrices de Princesa, le livre de Fernanda Farìas de Albuquerque et Maurizio Iannelli (Héliotropismes, 2021). Je vis tous les jours sur la frontière entre la langue italienne et la langue française, un espace qui est devenu aussi ma langue d’écriture.

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