#anthologie #32  | David Foster Wallace | l’escalade

Une nuit glaciale de 1602 précisément la nuit du onze au douze décembre selon la datation un tantinet capricieuse des savoyards, qui rappelons-le ne sont pas français bien qu’étrangement alliés de Genève à certains égards, ont essayé de prendre d’assaut la gentille et fort vertueuse Genève. Cette cité pourtant réputée pour sa vigilance calviniste, ses austères édits moraux et ses citoyennes prêtes à tout pour défendre leurs foyers et leurs potages fut sauvée de l’invasion par l’acte somme toute héroïque et inattendu de la célèbre Mère Royaume encore en habits de nuit, avec une précision qui confine au miraculeux ou au très chanceux, elle renversa sa marmite de soupe au légumes fumante sur les savoyards qui escaladaient les murailles de la ville. Cet évènement fortuit il faut le préciser fut enchevêtré dans une querelle de calendriers, absurde danse des jours et des nuits orchestrée par des papes, des réformateurs des dignitaires et autres faiseurs de comptes. Disons simplement que les catholiques savoyards avaient adopté avec une ferveur toute dogmatique le calendrier grégorien alors que Genève la protestante un peu bornée résistante au changement, opta pour le calendrier julien et un décalage de 10 jours de moins ce, jusqu’en 1701 pour des raisons pratiques autant que politiques. Ils ont fini par se mettre d’accord et, confusions calendaires mises à part, mais au fond qui se soucie vraiment des dates quand il s’agit d’une tradition festive, l’escalade se fêtera le douze décembre chaque année… on y arrive : au Parc des Bastions, ce vaste espace où trônent immobiles et sévères les figures sculptées de Calvin et autres réformateurs gardant l’entrée d’une cathédrale de principes, il devient le cœur battant de la fête de l’Escalade et de sa course dont le départ se trouve en bas des remparts.

Une foule bigarrée se presse pour voir le parcours et l’arrivée de la très célèbres course de l’Escalade. Petits et grands se parent de déguisements fantasques, des groupes entiers là une douzaine de coureurs déguisés collectivement en une chenille à pattes, leur costume se  tortillent de concert, provoquant des éclats de rires et des applaudissements.

La vieille ville discrète de sa bourgeoisie se transforme en un joyeux bazar de kermesse, on y boit du vin chaud, p’tit blanc au déci, ce verre de taille précise qui satisfait à la fois les exigences de la soif et de la modération dit-on, les schubligs – saucisses – rôties et autres fondues au fromage et raclettes à gogo. Bouillonnement de cris de joie, de rires et de verres qui s’entrechoquent parfois se renversent et se mêlent à celui d’un arsenal de coureurs de sept à cent sept ans sur la ligne d’arrivée, aux sourires extatiques et visages rougis par le froid et l’effort. Musique à tous les croisements Cors des Alpes, et du monde… on célèbre l’hiver froid et interminable.

En ce jour de fête la Cathérale Saint Pierre en alternance catholique ou protestante, c’est selon l’histoire pavoise, ses deux tours sont ouvertes au public et leurs dizaines de cloches sonnent.

Pour clore cette célébration que personne ne voudrait manquer et pour cause, un défilé à cheval ou à pied s’avance dans les rues pavées chaque participant de la Compagnie 1602 en costume d’époque  représentant la diversité des métiers, artisans, fonctionnaires dignitaires et autres figures emblématiques de la Genève du XVIIe siècle. Fresque vivante voyage dans le temps solennité joie exubérante et convivialité. On s’amuse à Genève.

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