#anthologie #36 | sur mon visage


On arrive devant la bouche de métro, place de Clichy. Lui est à vélo, il l’a déjà partiellement enfourché, nous sommes sur le départ, je dois descendre les marches. Pour l’instant je tourne le dos à l’escalier, je le regarde, comme si j’attendais sa permission pour partir. Je ne sais pas comment dire au revoir. « J’ai envie de t’embrasser partout sur le visage. » Il est là, tranquille, un petit sourire aux lèvres. Il attend. Je me sens rougir. J’ai chaud aux joues, je le sens bien. Je ne respire plus beaucoup, à petit souffle, à peine. Je le regarde. Je ne réponds pas, pas encore. J’ai chaud et pourtant je sens le froid de mes mains. Mes mains sont très froides. C’est normal, c’est l’hiver. Il fait froid et nous sommes là dehors, statiques. Il me regarde et il attend, tranquille. Je pense qu’il a l’air sincère, il a l’air sincère parce qu’il ne fait qu’attendre avec son petit sourire. Il a dit ça parce qu’il le pensait vraiment, il le ressentait vraiment, il en avait vraiment envie. Je bouche un peu l’entrée de la bouche de métro, je gêne, je vois bien que je gêne parce que les passants venant de la gauche pour entrer dans le métro sont obligés de me contourner ou alors sont obligés de se faufiler entre moi et le petit mur qui protège de la chute dans les escaliers. Les gens descendent, souvent assez vite. Il fait nuit, il fait froid. Il faut rentrer. Il a dit qu’il avait envie de m’embrasser partout sur le visage. C’est inédit. Je crois qu’on ne m’a jamais dit ça. D’ailleurs je crois qu’on ne m’a jamais dit quelque chose qui s’en rapproche. On ne m’a jamais dit qu’on avait envie de faire quelque chose comme ça. Apparemment on peut exprimer ce genre de choses, dans l’espace public, à des personnes qu’on connaît à peine. Et ce n’est pas dérangeant. Ça ne me dérange pas. S’il en a envie, effectivement, pourquoi ne l’exprimerait-il pas ? Qu’est-ce que ça veut dire partout sur le visage ? Je ne sais pas bien. Partout, sauf la bouche ? Et parce que je suis curieuse, je dis quelque chose comme « Oui, pourquoi pas. » Et il m’embrasse partout sur le visage, il commence d’abord par approcher ses lèvres et elles sont là, caressantes, avant de se poser sur ma joue droite, puis elles se reculent un peu, mais pas trop, et elles glissent sur mon front, un peu à gauche, où elles se posent un peu plus fortement, et elles continuent doucement leur parcours jusqu’à ma joue gauche où elles restent plus longtemps appuyées. Et je crois un instant qu’il virera un peu plus vers la droite, en ligne droite, vers ma bouche, mais il n’en fait rien, il s’écarte.

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