#04 / Le livre des maisons

#04 / Le livre des maisons


-Je n’invitais pas d’amis. Pour cela il faut une maison. Même mon corps, je ne l’habitais pas.

-J’étais toujours en visite. J’habitais le Nord, dans le train de la région parisienne qui me conduisait vers, et m’éloignait de. Je m’éloignais de plus en plus et par un jeu de poulie je me rapprochais de plus en plus. Dans ces allers-retours entre ici et là, j’étais. Je devenais maison.

-J’étais une enfant placée. Mais bien plus, j’étais une enfant sans cesse déplacée.

-Habiter l’interstice. Habiter le déplacement.

-Habiter son canapé. Habiter une maison comme la tique habite la peau du chien.

-Être habité par les poux. Être habité par l’exil.

-Être balloté comme un sac sur l’épaule, un sac à patates.

-Ne pas oublier la brosse à dents. Fuir les murs. Écouter les murmures avec distraction. Se frayer un chemin entre les immeubles avec discrétion. Faire tête basse. Habiter les trottoirs brillants.

-S’évader.

-Ma mère m’offrit petite, un grand et beau livre rouge intitulé « le livre des maisons ». Elle y inscrivit mon nom et l’adresse du foyer dans lequel j’allais grandir, à l’intérieur en première page. Je ne peux regarder cette écriture sans émotion. Le code postal est erroné, ma mère doit être désemparée, c’est ce que moi, la femme de 49 ans raconte à la petite fille d’alors, âgée de 6 ans, qui ne se doute pas de l’impact que ce cadeau aura sur son existence. Cette petite fille regarde vaguement le livre et repart à ses peluches quand la femme d’aujourd’hui y cherche des indices prémonitoires. Prémonitoires de tant de maisons fréquentées, rêvées, habitées, fuies, cherchées avant d’enfin trouver un point fixe, cette maison, où je vis depuis 5 ans. La route aura été longue et la tâche ardue avec d’infinis mouvements en une spirale m’amenant dans cette cour, en plein mois d’Août, sous le soleil qui me frappe le visage pendant que je me bats avec ces mots qui me paraissent étroits.

-Je changeais de chambre chaque année, ne sachant jamais à l’avance dans laquelle j’irais et avec qui je la partagerais. Ranger ses affaires, changer d’étage parfois, choisir son lit : tenter d’arriver la première pour pouvoir choisir ce lit, détester les lits superposés, détester les douches collectives, savourer chaque instant de solitude, se trouver un coin qui puisse véritablement être sien. Je ne le trouvais pas, chaque endroit était déjà habité car nous étions une cinquantaine dans cette maison où ça grouillait comme les poux dans ma tête. J’habitais les livres. Personne ne pouvait y être en même temps que moi. J’habitais les phrases, les mots, je m’y installais confortablement. Je pouvais rester une journée entière avec une phrase en suspens dans mon esprit, attendant l’heure où je me replongerais dans le livre, ma maison.

-Les hôtels, avec mes deux souris domestiques, Minnie et Souricette vivant elles-mêmes dans des abris en carton appelées purée mousline ou coquillettes. Les crottes, partout dans cette petite et unique chambre sans douche où les blattes se multipliaient. Mes parents, aperçus le week-end, pris dans leurs tourments et moi, en transit, comme d’habitude, mon sac à l’épaule rempli de vêtements et de livres volés. Une véritable escargotte…

-La vie organisée et planifiée des hôpitaux. Les horaires. Je me rappelle cette clinique où l’on ne pouvait aller se recoucher le matin, les chambres fermées pour cause de ménage. Les heures d’errance intérieure, ne sachant où se mettre pour reposer l’âme à l’abri des regards.

-Il dormait dans un parking, sous les voitures, les moteurs sur sa tête. Puis dans l’église. Est mort chez lui, dans la rue.

-Un soir ma mère et moi allâmes chez un ami à elle pour demander l’accueil pour la nuit. Nous avons attendu, attendu, attendu dans la cage d’escaliers. Il n’est jamais arrivé, la porte resta close. Sous les pics de la faim, ma tête de petite fille dans la fine et grande main de ma mère, je me suis endormie sur ses genoux recroquevillés. A l’aube, une voisine ouvrit sa porte, et nous menaçant du haut de son index, nous mis dehors… Nous nous réfugiâmes dans un café, au chaud, je sortais un livre refuge.

-De nomade à sédentaire, je suis devenue casanière. Quitter mon atelier-logement m’est difficile. Je hais les déplacements : je les ai trop connus. Je me suis installée avec mon chat entre les tubes de peinture, dans les couleurs de ma joie de vivre. Dans mes cauchemars, je suis expulsée, je n’ai plus d’endroit où vivre, c’est insupportable… Chaque mois, je paie prioritairement mon loyer, avec une angoisse indescriptible au creux du ventre.

-Etc.






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