#anthologie #26 | Sous la tente

Première nuit sous la tente depuis un bon moment. La dernière fois, tu vivais encore à la montagne, balade d’été avec des copains du club de ski de fond, tu ne devais même pas avoir quinze ans. Aujourd’hui, nouvelle nuit sous la tente. Chaussettes, bonnet, la tête dans la capuche bien douillette du duvet, tu n’as pas vraiment froid, pas de pierre sous ton matelas, ce qu’il faut de fatigue après la marche du jour pour passer une bonne nuit. Mais pas moyen de dormir, pas même de somnoler, dès que tu fermes les yeux, ils se rouvrent tout seuls à cause de tes oreilles. Tu as planté ta tente à l’entrée de la forêt, juste de quoi être caché de qui suit le chemin. Pas d’herbe, juste des feuilles mortes, pas de piste visible, pas d’écorce grattée par une quelconque bestiole qui fréquenterait le coin en familiarité. Tu pensais être tranquille, tu te voyais déjà bercé par le ruisseau qui gazouillerait pour toi, mais pas moyen de dormir. Les bruits autour de toi tu ne les connais pas, ton cerveau tourne en boucle pour essayer de savoir qui a fait ce bruit-là, si c’est dangereux ou pas. Ce froissement dans les feuilles, juste vent ou bien pluie ? Rien sur la toile de tente, ce doit être le vent, peut-être lui aussi, cette sorte de poc, un choc sur ton refuge. Et puis ce bruit de grattement comme quelqu’un de délicat qui chercherais à savoir si tu dors pour de bon sans vouloir pour autant te sortir du sommeil, mais le grattement de cette nuit est à la fois plus doux et bien plus insistant, ça dure depuis de heures, ou au moins cinq minutes, enfin de ton côté, une bonne éternité. Des feuilles remuées, là tu sais ce que c’est, le merle qui gratouille pour trouver à manger. Mais… un merle ? la nuit ? Un appel, un grognement, comme un raclement de gorge, un bruit qui se rapproche, et heureusement s’éloigne. Et un cri plus aigu, presque un cri de détresse, un appel de chaton, un autre un peu plus grave. Et un plus inquiétant, comme un bruit de moteur, pas un avion, pas un bruit qui passe, un bruit qui se rapproche, qui ne bouge plus et ensuite qui s’arrête. Un claquement. Et un autre bruit pareil, mais venu de l’autre côté. Un bruit qui se rapproche, qui ne bouge plus et ensuite qui s’arrête. Un claquement. Et des voix. Des voix calmes, sourdes et lointaines. Pas de cris, rien de vraiment alarmant en théorie, tu es loin de la route, on ne voit pas ta tente, couleur verte bien foncée, tu ne fais pas de bruit, pas non plus de lumière, rien pour te signaler. Mais quand même, les autres bruits se sont tus. Plus de sifflement, frottement, raclement, frôlement, aboiement, ronflement, bruits de pattes, cloches de vaches, même ta respiration tu essayes de l’étouffer, ne restent que les voix qui abreuvent tes peurs mieux qu’un ruisseau de montagne 

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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