#anthologie #10 | MAU

À dix ans, en sortie scolaire au théâtre de sa ville, il est émerveillé par Don César de Bazan. À vingt-cinq ans, son Bartholo donne la réplique au Figaro d’un célèbre acteur belge de l’époque. À dix-sept ans, il passe le balai dans les loges du Théâtre National de Bruxelles. Dès l’âge de 25 ans, Mau dessine un premier projet de péniche spectacle. Enfoncée dans le fauteuil qu’ elle a glissé près de l’âtre, elle relit encore encore une fois les détails du projet, griffonnés au crayon sur la page de gauche du cahier « il s’agit de créer une ambassade itinérante de la Belgique romane, à partir de deux péniches Freycinet (38,50M x 5M), Le Ghelderode déraciné et le Jacques Brel, très spécialement aménagées (office du tourisme, boutique de spécialités alimentaires, salles d’exposition à cimaises rabattables, salle de spectacle en gradins modelables d’une centaine de places, restaurant découvrable de quatre-vingt couverts et locaux de service) ; en conservant le logement de batellerie en poupe pour ma famille. Ces deux péniches pourraient naviguer en Europe du Nord et en France de l’Est. Il est prévu un port d’attache à Paris sur le Canal St Martin, d’octobre à mai, et à Avignon pendant le festival.» Le 1er mai 1962, il fête au Café ses trente ans à Etterbee. Glisse le bout de son index de la main droite sur «apôtre des cafés», on le surnomme donc encore ainsi à l’époque. À 86 ans, Mau quitte définitivement la scène de la vie. À 22 ans, il se rend deux jours par semaine, au cours de MM et fréquente assidûment le Conservatoire Royal. À 23 ans, son ami Roland l’emmène sur la tombe de leur Maître Jacques Copeau, à Pernand. À 55 ans, il invente et promeut une toute nouvelle approche pédagogique dans la formation des acteurs, trouve les traces raturées des premières ébauches. Vers l’âge de 20 ans, croyant s’éprendre de Dieu, il quitte Bruxelles pour la Bretagne où il va vivre un temps de retraite dans un centre spirituel jésuite, pendant peut-être trois mois. « Il ne voyait pas où aimer davantage » c’est certainement à cette époque qu’il note en première page de sa Trilogie de Coûfontaine ces mots empruntés au narrateur de La Faute de l’Abbé Mouret. À 51 ans, il rencontre Orazio Costa, qui l’inspire beaucoup dans l’élaboration de ses propres méthodes d’enseignement et de formation. À 5 ans, dans la chambre parentale, au pied du lit, il assiste à la mort de son père. À 25 ans, on le verra dans Les Fourberies de Scapin, La Marieuse, La Bonne âme de Sé Tchouan, Antigone et ce n’est qu’un début, se dit-elle en empoignant pour la énième fois le tas des affiches qu’il prend le temps d’archiver À 42 ans, il dirige le Théâtre expérimental pour la jeunesse, le Dictionnaire des Belges dit “théâtre pilote de toutes les jeunes compagnies”. À 44 ans, il dessine les plans d’un chapiteau rêvé qui aurait dû s’appeler le Chapiteau de Wallonie, les maquettes du projet ont maintenant bien jauni, elle les retrouve en bas de la grande bibliothèque, juste à côté de la maquette de la péniche. À 72 ans, il réalise une mise en scène du chef d’œuvre de Samuel Beckett, Oh les beaux jours dont il partage l’interprétation avec Winnie ; elle se laisse aller à la rêverie, se souvient, calée au fond de son siège au théâtre des Martyrs, elle retient son souffle, Winnie est enterrée jusqu’à la taille dans un mamelon, elle parle à Willie (son vieux légume de mari, elle retrouve cette formule dans les notes de Mau). Dans un des articles découpés dans la presse par leur fill, Giorgio Strehler les décrit comme deux survivants d’une ère atomique. Au début de la seconde partie de la pièce, Winnie est immobilisée et enterrée jusqu’au cou dans son mamelon. Plus trace de Willie. Beckett suggère à plusieurs reprises que Willie est parti ou mort. « Des yeux qui se ferment, non pas les miens », nous dit Winnie. Elle trouve que les notes de Mau prennent la valeur d’une interprétation lorsqu’il parle de ce «miracle de théâtre : Winnie évoque les coupes de champagne de son mariage. Et le public voit surgir sur le mamelon étriqué, dans son costume de mariage, ganté et couvert d’un haut de forme, le vieux Willie. Il s’accroche au mamelon , rampe, culbute et ovationné par Winnie, regrimpe vers elle ou vers Brownie (le révolver déposé entre elle et lui). Les spectateurs croient donc au retour de Willie. Peut-être pas tous. Car c’est Winnie qui ressuscite Willie dans son imaginaire. » À 29 ans, un dimanche 15 juillet, Mau se marie avec son immortelle bien aimée. À 38 ans, il rencontre en personne Michel de Ghelderode. Tellement émouvant de suivre au fil des cahiers les méandres de la propre recherche de Mau dans les archives de Ghelderode – lui-même archiviste de métier, Mau mentionne justement le vestibule de l’appartement où le fait entrer pour la première fois Madame de Ghelderode – cette chère Jeanne écrit-il, au 78 rue Lefrancq dans un quartier déjà très populeux de Schaerbeek à l’époque, un rez-de-chaussée deux pièces cuisine, relativement sordide, de quelque théâtralité qu’il habillât sa pièce de réception en façade (le fameux cabinet de travail), où trop peu de visiteurs venaient rendre hommage à son génie ! Le goût de Mau pour l’imparfait du subjonctif la laisse pensive.

A propos de Nicole Busquant

Un certain goût pour les traces.

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