#anthologie #32 | fin du marché

À treize heures, le marché de la Libération touche à sa fin, et les marchands commencent à remballer leurs étals. Sur l’avenue Malausséna et la place Charles de Gaulle, les premiers comptoirs ferment. Au pied de l’esplanade de l’ancienne gare, enclavée entre les escaliers et les terrasses des cafés-restaurants, les commis poissonniers, le dos courbé, transportent les bacs de glace fondue et les containers débordant de déchets poissonneux, écailles brillantes, viscères entremêlées, restes putrides. Dans le ciel azur, les gabians criards tournoient en cercles flairant la charogne. Puis, dans un mouvement brusque, ils plongent vers les étals, arrachent leur pitance, et en quelques battements d’ailes, vont se poser sur la statue du Grand Charles ou sur une corniche ornée de la Gare du Sud. Là, fiérots, ils déchirent la chair morte d’un coup de bec brutal, et chient avec insolence sur la tête du Général.

Les terrasses des cafés sont déjà bondées. Des habitués pour la plupart, vendeurs ambulants, des touristes italiens et les habitants du quartier. A la Gauloise, les clients commandent les spécialités, l’assiette de l’écailler ou les linguine aux fruits de mer. Au Bonjour, on s’attable devant, des tripes, ou des farcis niçois. L’établissement fait aussi PMU et sa gérante vote RN. Chez Tintin, on déguste le fameux Pan Bagnat. Ce petit monde endosse avec entrain son couplet populaire et bout en train. «  Donne-moi un gomé », « Baîeta, on s’en va», « quel cagnard ! » ; les couleurs rouges, vertes et beiges des décors en céramique de l’ancienne Gare vibrent sous le soleil. Le bâtiment est devenu une « halle gourmande » appelée Mediterraneo et peine à attirer les foules. Les mangeurs préfèrent se sustenter à l’extérieur et dédaignent les menus chichiteux du Fooding Global.

Sur l’esplanade, les fourgonnettes des commerçants chargées s’apprêtent à quitter les lieux.  Les employés municipaux  en panoplie jaune et verte fluo arrosent le pavé souillé et poussent d’un jet d’eau puissant les détritus, feuilles flétries, fruits blettes, cœurs pourris. Les débris forment des laissées dégoulinantes que les balayeurs ramassent avec de grandes pelles métalliques. La vapeur d’eau, chargée de senteurs terrestres monte dans l’air chaud.

Les derniers à plier bagage sont les vendeurs ambulants de la rue Clément Roassal. En fin de marché, la rue est à l’ombre et attire les chalands tardifs. Les vendeurs de ce coin sont à la marge : des italiens, des producteurs bios hors de prix et des discounters qui écoulent leurs marchandises en grosaux sabas de la rue Trachel. C’est le coin des glaneurs, des clandestins venus de l’Italie et des clodos avinés. Une vieille dame étale à même le sol des vêtements et de souliers de seconde main. Etonnement, ses minables marchandises trouvent preneur. À quatorze heures, le camion poubelle vient clore la danse des nettoyeurs, et enlever les derniers vestiges du marché. C’est l’instant où, glissant sur le pavé gras, je m’élance, pour attraper le tramway qui se profile au bout de la rue.

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)

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