#anthologie #40 | A la recherche de l’auteur

Il n’y a pas de texte sans auteur, même « inspiré » par un dieu, recueilli sur le Sinaï, ou dicté par un ange, la main de l’homme a tracé les signes composant tout texte. Une fois posé cet axiome, son application à la littérature pose la question du QUI ? Les conjugaisons, les modes ne donnent qu’une indication approximative, parfois destinée à induire en erreur le lecteur. Rien n’assure qu’un auteur qui dit « je » parle de lui-même, on sait seulement qu’il met en scène un personnage qui parle à la première personne.

Dans le recueil intitulé « Vies tranquilles », dès le prologue surgit une difficulté : qui parle ?

« alors, j’ai vu. Alors, tout contre, j’ai reconnu aussi parce que j’ai vu. Alors je l’ai vu, semblable, même chaleur, douceur ; alors j’ai vu l’autre. »

Qui parle, et de qui ? Quel est cet autre dont le locuteur ressent le contact avant de le voir, sage-femme facilitant l’accouchement, mère en travail, jumeau dont la présence était déjà sensible avant l’ouverture au monde extérieur ? Il semble en effet qu’un deuxième personnage est apparu dès cette naissance : « Il était devenu, il était être. Il était contre, agité sans violence, comme pour se rapprocher. Il était à la recherche de quelque chose plutôt que rien. Il était le manque, le vaste lui faisait connaître, reconnaître. Il était l’autre comme j’étais son autre, il voyait, se voyait, se reconnaissait ». L’auteur parle maintenant à la troisième personne puis revient à la première pour confirmer : « j’avais aperçu l’autre que quelqu’un emportait. Etonné, choqué, heurté, ses cris vite apaisés. » L’hypothèse qu’existe un jumeau du personnage ayant ouvert ce prologue semble bien confirmée, c’est lui qu’on emporte, qu’on éloigne de son semblable, de son identique.

« Vies tranquilles » se poursuit avec « bien arrivés ». Un personnage, désormais plus âgé (enfant ?) donne quelques indications sur sa famille, il parle de parents, grands-parents, petite sœur. A aucun moment il n’est question de jumeau, la mère répond à une question : « demande à ton frère ». De quel enfant s’agit-il ? on voit mal la mère répondre « demande à tes frères ». Soit la réponse est purement rhétorique, soit « l’autre » n’est pas dans la voiture.

Le texte suivant, « interminable » pourrait lever l’ambiguïté en ne mettant en scène qu’un garçon et une fille, mais, « Lui aura droit à un pilon, (garçon, jambon, dindon, pilon, celui du marchand de couleurs de la rue de Pontoise, image évitée). Qui est ce « lui » qu’un prénom aurait permis d’identifier ? L’un des jumeaux étant absent, il serait bon de savoir lequel participe à ce repas interminable.

Sur le « chemin de ronde », évoqué au chapitre suivant, le personnage s’exprime deux fois à la première personne, dans deux parties bien distinctes, à deux époques différentes, il peut donc s’agir de deux locuteurs partageant le même souvenir d’enfance, d’ailleurs partagé par beaucoup d’enfants du village.

« au-delà » et « empêché » nous confirment dans l’hypothèse gémellaire. Mêmes lieux (friches champenoises), même trajet, même récit, mais avec sentiment géographique dans le premier ; sensation d’étouffement dans le second, donc impossibilité d’expression par le même héros .

Dans « cagibi », le personnage, tel Robinson sur la plage, découvre les traces de pas qui lui confirment sans aucun doute l’existence d’un alter ego.

Qui se cache derrière « l’homme de Villiers » et « l’homme du hart » ? Des noms seraient bien utiles… on notera de nouveau l’existence d’une dyade et un certain goût des personnages pour le jazz et François Villon.

« De profil, il ressemble à Jacques Marigar », enfin une indication onomastique, malheureusement un peu vague, car le personnage « ressemble », les ressemblances ne sont pas rares, toutefois, nous tenons enfin un fil ténu.

A partir du « petit pan de mur rose », on sait que le personnage qui s’exprime écrit, chaque jour, sur un ordinateur Mc Intosh, qu’une certaine Lulu partage sa vie : «  Vient le moment de silence quand Lulu se repose, quand les travaux agricoles ne font plus ronronner les tracteurs, quand tombe une fraîcheur chargée d’odeurs herbacées » ; on avait déjà découvert qu’il avait des enfants auxquels il parle volontiers de géologie ; il habite à la campagne et promène sa chienne tous les matins.

Les deux jumeaux – je crois qu’on peut considérer ce point comme acquis -, voyagent. L’un va vers le nord, amateur de harengs marinés, l’autre vers le sud, aimant paella et arroz de mariscos. Strindberg et Dagerman d’un côté, Cervantès et Pessoa de l’autre.

L’auteur de « Vies tranquilles » a décidé d’intervenir directement dans le chapitre « Ma vie avec Perros », genre d’exercice d’admiration, seul texte dont le titre commence par une majuscule ; précieuse indication sur l’identité de l’auteur qui s’exprime à la première personne et introduit un personnage bien réel ; sans doute une rencontre ayant provoqué son besoin d’écrire.

« où habitez-vous ? » un des jumeaux vit à Montmartre, l’autre au cœur des vignes de l’Aube, cette Champagne du sud où ils ont partagé… quoi ? l’enfance ?

« la distance vraie » – Où l’on apprend qu’un des jumeaux (baptisé X) est grand-père d’un adolescent.

« au ralenti », étrange incident de parcours chez X ou Y, qui a fait bifurquer sa vie.

« bas de page », note 4, nous révèle enfin l’identité du chroniqueur : Jean Marigar. On peut désormais désigner les deux jumeaux par leur nom et les deux prénoms Jacques et Jean. On sait qu’ils se ressemblent cf supra, et que Jean écrit régulièrement.

Dans les pages ultérieures figurant dans « Vies tranquilles », les thèmes de l’amitié, de la séparation nourrissent des textes où une forme de lyrisme vient parfois l’emporter sur la recherche du réel.

L’ouvrage s’achève par une tentative de reconnaissance en forme d’exercice de style de la dette immense qu’éprouve l’auteur pour James Joyce ; Molly Bloom est endormie, à son côté, dormant tête-bêche, Léopold oublie un instant son surmoi à l’issue d’une journée particulière.

Ici s’arrête l’enquête menée par JM Garnier sur quelques images issues de sa mémoire et d’un imaginaire stimulé par un lointain chef d’orchestre.

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