#anthologie #40 | Quatre, trois, deux , un….

4. La brocante

Le dimanche, juste à côté du marché couvert, des brocanteurs amateurs s’installent pour la journée sur un bout de pelouse. C’est à la fois joyeux et triste, les exposants et les passants se connaissent, on est sur une petite île, et l’été c’est un bon moment pour vendre aux touristes ce qui sinon partira au mieux à la recyclerie, au pire à la déchetterie. Joyeux quand il fait beau et que chacun y met du sien pour que son stand ne ressemble pas à celui du voisin. Triste parce qu’on y croise, à côté des bibelots et de l’argenterie de la mamie décédée l’hiver dernier, des habits et des souliers dont on sent bien qu’ils sont là par nécessité, pas pour s’en débarrasser mais parce qu’il faut mettre comme on dit du beurre dans les épinards et que les épinards et surtout le beurre coûtent de plus en plus cher. Et sous une pile de quelques vieux 33 tours, on découvre un carton à dessin un peu plus grand qu’une feuille A4 et dans ce carton, des feuilles, éparses, jaunies, écornées, numérotées. On demande le prix. Ce que vous voulez, j’ai acheté une maison ici depuis peu avec quelques vieux meubles dedans, j’ai trouvé au fond d’un tiroir ce carton avec les feuilles, j’en ai parlé au précédent propriétaire, il n’en a pas voulu comme s’il ne savait pas d’où cela provenait ou qu’il ne voulait rien me dire. La curiosité est dans ce genre de circonstances une qualité. On achète, on rentre avec le carton sous le bras chez soi, et on y plonge. Dans le mystère.

3. Un titre peut-être quelque part, ça peut aider ?

On débarrasse la table de la cuisine de tout ce qui s’y trouve, des miettes de pain du matin ou de la veille, une tasse de thé, le compotier et les fruits odorants, un livre ouvert, il va falloir faire de la place pour étaler toutes ces feuilles avec précaution, certaines sont déchirées, vieillies par le temps et l’humidité, et tenter de trouver un ordre, pour lire tous ces textes, inégaux, avec apparemment des titres avant chacun d’eux. Quelques pages sont collées entre elles, et en parvenant à les séparer on découvre sur l’une d’elle un bout de phrase au milieu d’une page «  Et vous comment…. » impossible de lire la suite, effacée par le temps, mais de par l’agencement on devine qu’il s’agissait du titre de ce qui a bien l’air d’être un manuscrit. Pas de nom d’auteur sur cette page.

2. Vous avez dit « foutraque » ?

Malgré les pages manquantes, on remarque qu’il n’ y aucune ressemblance avec une histoire, pas de début pas de fin. On retrouve ce qui semble être la première page après celle du titre mais cette feuille est elle aussi déchirée, et on ne déchiffre pas bien que ce que l’auteur, ou l’autrice a voulu exprimer et s’il ou elle évoque une intention, un but, un désir. Cela n’a aucune importance. Combien de livres sont impossibles à nommer, classer, répertorier, enfermer dans des tiroirs ? Pas assez sur les tables des libraires. Celui-ci aurait-t-il été un livre de plus que la bien pensance culturellement correcte aurait qualifié de « foutraque » si tant est qu’il soit parvenu entre ses avis binairement insupportables ? Sur le site du CNRTL ( Centre National de Ressources Textuelles et lexicales) on lit deux définitions de l’adjectif « foutraque » : 1/Qui présente des troubles du comportement ou de l’esprit dénotant ou semblant dénoter une altération pathologique des facultés mentales. 2/Qui est dans un état psychologique de trouble intense ou d’exaltation causé par une forte émotion ou un sentiment poussé au paroxysme. Il y a des textes qui semblent se taire au moment où peut-être le lecteur aurait envie d’en savoir plus, est ce volontaire ?  et d’autres où les émotions débordent sur ce brouillon – on peut deviner des notes manuscrites, délavées, presqu’illisibles- qui présentent bien des auréoles, des traces de sanglots, ? et aussi des possibles marques de doigts. On déchiffre une citation à la dernière page de ces feuillets incomplets qu’on a pu agencés dans l’ordre de la numérotation en bas à droite «  Etre adapté à une société malade n’est pas un signe de bonne santé mentale » Krishnamurti. On se pose dans le canapé. On lit.

  1. Toi plus moi plus lui plus elle…

L’auteur serait-il une autrice comme on dit ou une auteure ? Qui est derrière, à côté, ou au cœur même des ces textes, qui a tenu la main de qui, qui a pianoté sur le clavier ou écrit sur des bouts de papier, ou sur un cahier, et où, quand, comment ? On lit dans un court texte d’introduction une histoire de consigne, de défi, de contrainte journalière, de contributions partagées, on ne comprend pas bien ce que pouvait chercher à faire cet auteur, cette autrice, et ses « camarades de jeu » dont certains parait-il se connaissaient mais pas d’autres et qui commentaient entre eux leurs écrits. Vu de l’extérieur, l’expérience semble insolite, attirante. Pour qui aurait envie d’écrire en se mettant un peu la pression, comme cette espèce de poussée artérielle qui s’accélère quand l’inspiration monte, monte au point de devoir se lever en pleine nuit, ou bâcler une conversation pour noter, pour ne pas oublier, parce que « ça » c’est important, vital même, et même si quelques heures, jours, mois plus tard, « ça » part à la poubelle avec un simple clic ou un bruit sec de papier déchiqueté. L’auteur ou l’autrice qui nous livre ce mystérieux document aurait tenu le choc, aurait-il, aurait-elle réussi son pari ? A la dernière page on devine un mot partiellement délavé mais bien identifiable «  remerciements » avec une suite d’initiales, elles bien visibles et lisibles : au centre en grosses lettres majuscules François B puis à partir d’elles en cercles concentriques en spirale et de plus en plus large et dans un ordre alphabétique : Delphine A, Noelle B, Helena B, Gracia B, Khedidja B, Romain B, Patrick B, Hélène B, Cécile B, Sylvia B, Muriel B, Annick B, Camille B, Françoise B, Caroline B, Nicole B, Stéphanie B, Michèle C, Xavier C, Brigitte C, Aline C, Laurie C, Jean-Luc C, Piero C-H, Emmanuelle C, Emmanuel C, Nathalie D, Laurent D, Elise D, Juliette D, Lisa D, Line D, Kéa D, Claudine D, Bernard D, Monica D, Claude E, Christine E, Monika E, Nolwenn E, Geneviève F, Vincent F, Marie-Caroline G, Irène G, Jean-Marie G, Yasmine G, Danièle G, Betty G, Gilda G, Jean-Marie G, Sophie G, Françoise G, Virginie H, James H, Sandrine H, Nathalie H, Laure H, Raymonde I, Sophie J, Christine J, Emilie K, Jean-Yves L, Claire L, Nolwenn L, Philippe L, Alexia M, Cécile M, Emilie M, Clarence M, Anh M, Tristan M, Valérie M, Isabelle de M, Marie M, Annick N, Anne P, Ugo P, Caterine P, thérèse de P, Marie-thérèse P, Catherine P, Carole P, Anna P-P, François R, Marlen S, Fabienne S, Olivia S, Sylvie S, Catherine S, Laurent S, Camille T, Pedro T, Françoise T, Carole T, Chantal T, Jacques de T, Marie T, Perle V, Isabelle V, Soalnge V, Simone W, Will, Natacha Y, Solène Y. On n’en saura pas plus sur le lien entre toutes ces personnes, mais la présence de leurs initiales invite à penser que pour l’auteur, l’autrice, elles ont compté, pour sûr, dans l’écriture de ces quelques centaines de pages qui sentent bon la vie et ses mystères. Et c’est bien ainsi.

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

12 commentaires à propos de “#anthologie #40 | Quatre, trois, deux , un….”

  1. D’abord la citation de Krishnamurti donnant de l’allégresse (toujours bienvenue le matin), puis l’ élégance, et l’émotion qui en découle, de ce dernier numéro à rebours: merci à toi, oui on ne se connait et je ne connais personne dans ce groupe, oui on a joliment partagé! Merci Eve!!

  2. Quel plaisir de te lire… Ta « brocante » me parle, j’y ai trouvé tellement de photos, de cartes, de correspondances… La citation de Krishnamurti, bienvenue comme l’écrit Valérie. On se sent tout de suite du côté des normaux ! Oui tout cela n’est possible que parce que nous étions un groupe et parce qu’un certains François B. fédère toute cette énergie ! Merci à toi, Eve.

  3. oui, beau ce passage brocante et ces trouvailles qui nous laissent parfois sans voix… un vrai récit en parallèle
    et merci de nous nommer, même en raccourci (et pour moi sans doute un e oublié pour mettre mon nom au féminin, mais ça n’a pas d’importance)
    merci à toi aussi pour l’accompagnement et pour les échos fidèles
    et tout ça « sent bon la vie et ses mystères »…

    • désolée pour l’erreur de frappe…le doc de synthèse est parti chez F.B qui a bien du travail , si je peux faire corriger je le fais bien sûr. merci à toi pour comme tu l’écris ces  » échos » . Belle suite à tout cela pour chacun, chacune.

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