#anthologie #40 | Ces gens-là

Premier registre : Qui en serait l’auteur ?

Un jour, Il a récupéré le bureau d’enfance du père. C’est une table modeste maculée de taches d’encre. Son grand-père a refait l’un des pieds dans un bois plus clair et un peu tordu. Il est bas. Ses genoux cognent contre le tiroir. C’est désagréable et la plupart du temps il a mal au dos. Il doit se contorsionner pour trouver une position confortable. Il aurait pu acheter un bureau plus esthétique. Le genre « bureau d’écrivain » qu’on trouve dans les revues qui font des dossiers sur la panoplie des grands auteurs. Il n’en a jamais voulu. Ce bureau le relie aux motifs de son histoire familiale.

Le terrier donne sur le jardin. On a l’impression que la pièce se loge dans le sol. C’est une maison de ville avec un coin de campagne à l’arrière. C’est là qu’il aime travailler. C’est là qu’il aimerait écrire. On a vue sur les remparts de la ville et la cathédrale. Tous les dimanches matins les cloches sonnent. C’est beau et ancestral. D’immenses arbres coupent la vue en deux. Il aime s’allonger sur le petit canapé-lit installé derrière le bureau pour les regarder bouger. Parfois il contemple la cime des arbres avec sa fille. Elle dit que les arbres dansent. Il a peint les murs en vert. Un vert végétal presque kaki. Il voulait faire entrer le vert du jardin dans son bureau. Son terrier. Comme une extension de la nature à l’intérieur. Au sol les vieilles tommettes lui rappellent que la maison en a vu d’autres. Il aime qu’elle soit pleine des histoires d’avant.

Parfois il parle à son bureau. Il le personnifie. Il en fait un être vivant. Il a même pensé écrire une histoire sur sa vie. Sa naissance dans une forêt, la violence de la découpe, la curiosité de la transformation, sa renaissance en bureau et toutes les vies qu’il a croisées avant de se retrouver là avec lui. Il lui raconte souvent les histoires de timbre-poste et de forage du vieux Faulkner. Ils évoquent ensemble la maison d’enfance du père. Il vit en périphérie depuis qu’il est à la retraite, il n’a plus de logement de fonction. Il a dû louer dans l’urgence une maison située en zone inondable. Si la rivière déborde, ils devront dormir dans le canapé-lit. Il ne pourra pas le supporter.

Deuxième registre : Ce qui ce cherche et nous égare. De la matière pour voir

Un amoncellement de scènes qui ne figurent nulle part. Des kilomètres de monologues intérieurs pour rien. Un personnage de frère qui ne prendra jamais la parole. Pas plus que David. Même pas écrire la scène du fusil de chasse du père. Le sang du chien (il sera présent mais différemment). Les larmes du père. La froideur, le sang-froid de la vieille peau. C’était déjà là. Partout. Le père devant la maison des années plus tard. Dans un même mouvement. Comment le raconter ? Du point de vue du fils ? Du père ? La question des prénoms importe peu mais nommer les personnages clarifierait le propos. Donner du corps à l’histoire ou alors des personnages comme des paraboles ? Quel point de vue utiliser ? Oui le problème de la méthode (aussi de la focalisation) est réellement fondamental. Ecrire un roman sur l’inondation, le débordement ou alors tout embrasser ? Et quelle forme privilégier ? Des fragments épars qu’il faudra ordonner. La maison comme objet de la colère de Jean et de la solitude d’Hélène. Vincent au milieu de tout ça. Des feuilles et des feuilles accumulées dans un vieux trieur A4 21 x 29,7 cm souple qui porterait les inscriptions Traduction, Morphologie A, Morphologie B, Syntaxe, Phonétique et Vocabulaire. Souvenirs des cours de fac. À l’intérieur des textes séparés par des trombones qu’il faudrait classer. La trame est là. Partout. Comme l’eau dans les maisons. Au pied du lit des mères.

Troisième registre : Le livre à venir

À la retraite Jean et Hélène n’ont pas d’autre choix que de louer une maison vétuste au bord de l’eau. Jean fait des réserves pour arrondir les fins de mois du couple et dort régulièrement chez sa mère qui a l’usufruit de sa maison. Quand la rivière déborde suite à de violentes intempéries, la colère de Jean éclate. Il est alors prêt à tout pour récupérer sa maison d’enfance. Pendant ce temps-là, Hélène reste seule dans une maison où l’eau sourd de partout. Vincent aura-t-il le temps de sauver sa mère et d’empêcher son père de commettre l’irréparable ?

Plusieurs histoires qui s’entremêlent et s’imbriquent comme des nouvelles. Sorte de récits dans le Récit.

Trois parties distinctes dans lesquelles répartir chaque proposition :

– I – Avant l’eau
– II – La pellicule des mythes
– III- La crue
– (IV – Variations sur la même mère ? En option, sans doute un autre livre)


Quatrième registre : Avant l’histoire

Le livre serait longtemps resté sans la moindre couverture. Amoncellement de titres flous et approximatifs.
Le titre retrouvé dans les trous de mémoire de la machine. Dans l’histoire d’avant les histoires.
La nuit jusqu’au débord.

A propos de Camille Bréchaire

Camille Bréchaire vit et enseigne la littérature à Angoulême. Il lit et écrit dès qu’il le peut.

12 commentaires à propos de “#anthologie #40 | Ces gens-là”

  1. Camille, je ne vous ai pas encore lu, je suis touchée par la force de vos mots, la force de votre texte. Par la subtilité de la réponse à la proposition de François Bon. La nuit jusqu’au débord, magnifique ! Je vais me plonger petit à petit dans vos autres textes. Merci Camille

    • Grand merci Isabelle de votre passage par ici et de vos mots qui touchent forcément fort ! Texte écrit dans l’épuisement de la nuit hier soir après le zoom. Etrange façon de répondre à la proposition de F. C’est venu comme c’est venu. Emotion aussi de poser la quarantième sur la page du wordpress… Et puis le travail à venir. Le Livre qu’il va falloir ouvrir pour monter le pdf élargi (et pas seulement l’énumération des 29 premières propositions comme c’est le cas pour le moment). Je vais aussi aller lire vos textes. Merci encore pour ces échanges si riches ! A bientôt Isabelle.

  2. il parle à son bureau. Il le personnifie. Il en fait un être vivant. Il a même pensé écrire une histoire sur sa vie
    c’est très beau
    et cette question sur le point de vue: du père? du fils ?
    Bravo de nous livrer cette belle avancée de votre projet. On a envie qu’il voie le jour. Merci

  3. beaucoup aimé prendre connaissance de tous ces éléments, ils m’éclairent sur le projet, les personnages semblent avoir des prénoms, le bureau de celui qui écrit est un terrier (ça me ramène à Beckett) et la question des points de vue…
    et comment raconter… oui, grande question

    te retrouver bientôt, Camille, quand tu auras un peu de temps…

    • Oui Françoise, nous retrouver très bientôt (de passage chez moi mais je repars jusqu’au 26 août donc serai vraiment disponible à ce moment-là, d’ici là les zooms pour garder le contact et nos échanges collectifs si précieux). Hâte aussi de lire ton nouveau projet (qui fera bientôt livre je l’espère !) et dont les quelques fragments lus ici m’émerveillent ! A très vite et merci renouvelé pour ton immense soutien… Je t’embrasse

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