Il est probable que je me suis réveillée tôt et que j’ai regardé les bateaux, nous dormions dans un appartement donnant sur le port; il est possible que j’aie fait l’amour avant de partir pour l’opéra, c’est une façon comme une autre de se dire bonjour; que j’ai bu du thé, mangé des sardines et pris une douche en mettant de l’eau partout à cause du système sophistiqué de l’installation sanitaire de cet appartement tape à l’œil avec sa baie donnant sur la rade. Je me souviens que je détestais cet appartement, sa vue exceptionnelle, son écran géant ultra plat dans la chambre, son canapé cuir sable, sa table en verre et ses meubles en acier. A neuf heure moins dix il est possible que j’aie regardé l’heure sur mon portable, je déteste être en retard, j’aurais pu l’être ce matin-là ; il est probable que je portais un pantalon sombre un t-shirt et une veste pour être à l’aise sur le plateau. J’ai remonté la rue qui jouxte le grand stade, ça sentait le fioul, la vase, et le croissant ; des russes ivres allaient dans l’autre sens. J’ai vu des fleurs sur une charrette, des fruits, je me souviens de couleurs, un homme arrosait la chaussée avec un tuyau jaune. À l’entrée des artistes le gardien ne m’a pas demandé mon nom, j’étais là depuis une semaine, il m’a saluée, il a dû me dire comme chaque matin depuis une semaine, qu’il pourrait faire froid : c’était novembre après tout. Je suis entrée dans le noir, à jardin un châssis penchait, il est certain que j’ai pensé qu’il faudrait batailler ferme pour obtenir qu’on le redresse ; il y avait de sacrés bougres dans l’équipe technique, les blagues racistes fusaient ; est-ce ce jour-là que je me suis aperçu que les ballons du final avait disparu, que les masques n’étaient pas dans la malle, que la mezzo n’entrait pas dans le costume du début, ni le ténor dans le pantalon du costume. Il est probable que quelqu’un a dit : non pas un vendredi treize. À la pause déjeuner je suis allée dans le petit restaurant qui se trouve dans une rue sur la gauche en sortant de l’opéra – je n’avais jamais le temps de rentrer dans l’appartement avec sa vue exceptionnelle–, il est presque certain que j’ai mangé une salade, décliné le dessert et repris un café : oui serré. L’après-midi je réglais les problèmes d’accessoires, et de costume, j’assistais aux répétitions. Je me souviens que nous sommes sortis de l’opéra vers vingt et une heures trente, je suis sûre que le ciel était noir et qu’il y avait des étoiles ; nous sommes allés boire une bière, debout au bar ; sur l’écran il y avait un match de foot : France Allemagne. C’est au stade de France, il a dit, j’ai pensé qu’il allait me quitter, puis, à l’écran sous le match qui se déroulait une bande de texte à défilé : il était question d’explosions
10 commentaires à propos de “#anthologie #38 | avec sa vue exceptionnelle”
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Magnifique juxtaposition des catastrophes. Les choses nous arrivent sans plan, premier ou arrière, tu as raison. Seul le temps pourra dire à posteriori ce qui aura compté.
merci beaucoup Emmanuelle (lieux partagés)
Tout se loge imperceptiblement dans les détails. Ça paraît presque insignifiant a priori ou plutôt banal dans une journée alors qu’on sait que ce qui s’est passé est terrible et que c’est encore frais dans nos mémoires collectives. Application plus que réussie de la consigne de François. C’est prenant de bout en bout. Merci Nathalie
Et je dirais même plus : c’est du grand art.
alors plus que Merci Elise parce que cette consigne je ne voulais pas l’aborder, me suis forcée
(une façon comme une autre sans doute mais quand même pas à n’importe qui non plus hein) :*))
oh ben ça ! … *)) !
Merci Nathalie. La consigne à la lettre et l’on vous suit, on est dans cette quotidienneté des lieux, des corps, des mains, de tous les gestes un 13 novembre. Merci grandement.
Merci Ugo !
Où l’on voit qu’on s’est complètement planté sur la 38 … Il est probable, il est possible… Toujours faire flotter le réel Bravo Nathalie, dans le mille!