#anthologie #19 | Le costume de tergal gris

Quelqu’un de l’Aquila l’avait déposé à la boutique pour le vendre. Il était comme neuf. Il était en tergal. Il croit que c’est celui qu’il porte sur la photo. C’était ce costume là. C’était quelqu’un de l’Aquila qui le vendait parce que son fils avait grandi alors qu’il n’avait mis que quelques fois. La couleur était gris clair. L’étoffe était du tergal gris, gris clair. Il l’avait trouvé dans une droguerie où il avait acheté un pull over au frère de ma frère Bettino, avec un col en V. Ils étaient tous les trois, ils se promenaient, lui, Augusto, qui jouait de l’accordéon, et Gianino, celui qui habitait à Ascoli Piselli, qui s’était marié et qui était allé habiter là-bas. Gianino le voulait, il était trop petit pour lui. Antonio l’a pris, il lui allait bien, il avait deux ans de moins qu’Augusto et Gianino, il avait seize, dix sept ans. Il avait une autre photo aussi avec ce costume, qu’il avait faite pour sa carte d’identité, et qu’il avait donné à son fils Giovanni. Cette photo d’identité, il en reste un exemplaire sur sa carte d’identité du 19 août 1960 où il lui manque deux jours pour avoir ving et un ans. Nationalité italienne. Résident à Paganica. Via Fontenuova n°117. Célibataire. Ouvrier. 1m65. Cheveux châtains.Yeux châtains. Le marchand en voulait dix sept mille lires. Il lui a donné pour quinze mille. Antonio avait dit : “Non, c’est top cher, je ne peux pas.” Ce marchand, il avait le téléphone. Et, pas loin, il y avait un téléphone public. C’était une droguerie où il vendait de la laine et des étoffes. Son frère avait un bureau de tabac. Son autre frère  avait une autre boutique. Il s’appelait Damiani. Ce costume, il l’a apporté en France. La veste. Il l’a jeté. Il a encore un pantalon tout brillant, gris. Il était maigre à l’époque. Il le portait encore à la naissance de sa fille, Thérèse. Tout le monde lui demandait où il avait acheté ce pantalon. La photo est très abîmée, elle a été retrouvée après le tremblement de terre. Elle était sur la cheminée. Elle est en noir et blanc. Elle a jauni. Le gauche a une déchirure transversale. Le bord inférieur est déchiqueté. Au dos, il est écrit Farrania, c’est imprimé. Au crayon à papier, il est écrit 6836. Il pose assis sur une borne blanche au bord de la route, au milieu de l’herbe. Derrière lui on voit un potager, avec des piquets, des plants de tomates sans doute. Encore derrière des arbres. Encore derrière deux maisons : l’une à gauche, dont on distingue à peine un morceau du toit, l’autre, à droite, blanche, assez grande, dont on voit les fenêtres à l’étage, trois, et le toit. Ce sont des maisons assez modernes. La crête des montagnes. Un ciel uniforme. C’est sûrement l’été. Il a croisé ses jambes, sa jambe droite est posée sur son genou. Il porte des chaussures de ville, des mocassins en cuir. Une chemise blanche. Une cravate claire et large. Les mains sont croisées sur la cuisse gauche. Son corps est tourné vers sa gauche. Ses cheveux sont très noirs sur la photo, et épais, coiffés en arrière, assez longs. Il ne sourit pas, il a pris un air rêveur, il a les yeux presque fermés comme un poète romantique. Il existe une deuxième photo d’Antonio avec ce costume. Prise le même jour. Au dos de la photo, un tampon bleu indique Foto Agnelli Felice L’Aquila – Telef. 38-88, la même inscription imprimée ferrania, et au crayon à papier, le numéro 6835. Elle a donc été prise avant la précédente. Il pose dans la rue, en appui sur le pied droit, avec un contraposto élégant. La main gauche est dans la poche. La cravate s’envole un peu au vent. Le bras droit est le long du corps, la main repliée. Il sourit en regardant timidement l’appareil. On voit à peine ses yeux. Il est encadré par deux murs clairs de part et d’autre, surmontés de végétation, le toit d’un bâtiment à gauche, avec d’innombrables fenêtres. Au fond, toujours la montagne, et un ciel blanc. 

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