#anthologie #37 | le jour où je vis

Je vis que je n’étais pas morte. C’était dans cet appartement disparu depuis, celui qu’on voit dans l’album, j’avais encore un reflet, même une ombre, seulement je ne me ressemblais plus : l’air de quelqu’un d’autre, avais-je pensé en me croisant dans le miroir. J’aurais pu passer pour ma propre sœur, même mon frère, – je crois que le genre n’importe pas ici –, que savais-je d’eux ils étaient morts bien avant ma naissance. C’était dans l’appartement de cette ville, de l’est, ornée de statues gothiques où ils avaient débarqués avec leur malles pleine de livres et leurs instruments de musique ; où ils avaient vécu jusqu’à ce jour, qui était un soir sans matin où ils disparurent. C’est là, dans cet appartement que je me vis autrement, j’ai encore la perception jusqu’à l’écœurement de l’odeur d’encaustique des boiseries; je lisais un livre dont l’histoire se déroulait, dans le parc d’un hôpital, où s’ébrouaient des écureuils, un homme les regardait ou c’était un enfant quelqu’un qui allait mourir c’est certain ; je me suis levée pour aller boire et dans le miroir au dessus de la cheminée, je me suis retrouvée face à moi comme une autre. Les choses finissent par s’arranger dit-on, les blessures par se refermer, sans pour autant revenir comme elles étaient avant ; je sais que je n’étais pas morte et que je me vis ce jour-là
 
Je vis, cet enfant, il venait d’entrer dans la chambre; il poussait une potence à roulettes ornée d’une guirlande de Noël et Noël approchait en effet; l’enfant n’avait plus de cheveux et des pansements de couleur sur les bras. Bonjour, me dit l’enfant en entrant dans la chambre où dormait un autre enfant – son sourire et ses yeux, renforcés par l’absence de cheveux paraissaient plus grands. Il s’approcha et me tendit la main, je remarquai l’éléphant sur un de ses pansements : c’est joli je lui dis ; sa main entra dans la mienne, petite et froide – une taille quatre ans j’ai pensé. Six, il me rétorqua sans que je lui ai posé la question de son age, on dit aussi que j’ai l’air d’un vieillard, ça ne me dérange pas, j’habite ici depuis deux ans ; moi c’est Paul et toi ? Par la fenêtre il neigeait, dans le cône de lumière des lampadaires de l’esplanade, les flocons semblaient fondre. On entendit assourdie par la neige la sirène d’une ambulance. Le téléviseur diffusait un dessin animé. Sur la vitre, aussi nette que dans un miroir, avec la neige en transparence, je vis la souris poursuivre le chat : je pourrai repasser quand il ne dormira plus, me dit l’enfant, j’apporterai un jeu. Quand il sortit un pansement de couleur se détacha de son bras

Je vis, des écureuils et l’homme assis sur un banc qui les observait ; je me trouvais dans le parc d’un hôpital de la périphérie de cette ville d’Autriche traversée par le Danube, haut lieu de la politique et des arts, « Ville des Rêves et de la Musique » peut-on lire dans les guides. Les écureuils semblaient très grands, si je les compare à ceux que j’ai pu observer à Londres: si petits et rapides qu’on peine à en fixer l’image; ces écureuils du Danube plus grand que nature, plongeaient des arbres pour s’emparer des mouchoirs en papier que les malades avaient jeté au cours de leurs promenades. Assis sur un banc de l’allée proche du pavillon B, celui des opérés récents, malades pulmonaires pour la plupart, un malade suivait leur manège le pyjama dépassait du manteau, et il tenait dans sa main gauche un grand mouchoir blanc. Si j’avais appris sa langue, ce qui est peu probable – je déplore à chacun de mes voyages ma paresse linguistique –, aurais-je pour autant osé lui parler. L’intensité froide de son regard impressionnait. Les écureuils allèrent d’arbres en arbres, ils allèrent ainsi jusqu’à l’extinction du jour serrant dans leurs mâchoires leurs proies blanches; et l’homme qui avait de l’ironie dans les yeux me regarda

je vis que je n'arrivais pas à faire la proposition 37 pour des raisons qui m'échappaient, et que je m'accrochais tout de même, pour des raisons qui m'échappaient tout autant 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

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