#anthologie #35 l Silence ça tourne

Elle est assise en tailleur sur le lit de la chambre d’hôtel. Elle avise le téléphone qui vibre sur le lit à côté d’elle. De mauvaise grâce elle répond.

Voix off de la narratrice:

C’aurait été un lit blanc au milieu de la scène du théâtre. Elle serait arrivée côté cour. Un technicien côté jardin pour faire le clap une fois qu’elle serait installée sur le lit en tailleur.

Elle dit : Nous ne savons pas nous parler. Nous ne savons pas entendre ce que nous avons à nous dire. Tu n’écoutes pas. C’est ce qu’il me dit souvent. Et je ne réponds pas quand il dit ça. Dans mes silences il y a toutes les phrases qui viennent après « tu n’écoutes pas » et auxquelles je ne veux même pas commencer à répondre de peur que le barrage ne cède et que je lui vomisse toute ma colère et mes frustrations d’être sans cesse jugée. « Tu prends tout à la légère ». « Quand on fait des choix, on les assume ». « Ne compte pas sur moi pour tout arranger comme d’habitude ». Il ne dit pas ces phrases. Je les entends pourtant.

Coupez.

Clap: Grand Almira scène de la dispute 3ème:

Une voix masculine au téléphone, l’homme est hors champs.

Il dit:

– Tu es sage.

Elle répond

– Oui je suis sage.

– As-tu envoyé au consulat ce qu’ils t’ont demandé?

– Oui

– Tu es fâchée?

– Non juste un peu fatiguée. Et nous parlons du temps qu’il fait en Guadeloupe et de la chaleur qu’il fait à Istanbul. Je suis vraiment trop fatiguée pour tenir une conversation vide et mes silences sont de plus en plus longs.

– Repose-toi bien

– Oui j’ai besoin de dormir.

Voix off de la narratrice:

Elle serait sur son grand lit blanc de chambre d’hôtel comme sur un radeau dans une mer étale. Seule.

Elle dit: Je me sens seule et triste. Les kilomètres de distance rendent nos dialogues laborieux. Avoir une conversation avec E c’est comme avancer dans une matière visqueuse qui vous aspire vers le fonds. Je n’ai jamais fait l’expérience des sables mouvants, mais lui parler me fait penser à m’engluer dans des sables mouvants. Je ne peux n’y avancer ni reculer ni m’élever juste m’enfoncer lentement dans une matière qui colle et m’épuise.

Coupez!

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

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