#anthologie #35 | l’autobus

L’autobus roule. Il est filmé par-dessus, le grand rectangle blanc de son toit est posé au centre de l’écran dans sa largeur, il semble immobile. Sur le bord de l’image défilent de droite à gauche des personnes, des voitures, un parapluie ouvert vus du ciel. Des traits de lumière zèbrent le bord de l’image de gauche à droite, les reflets sur la chaussée humide ressemblent à des étoiles filantes. Musique, trompette de Miles Davis.Le film est commencé.
La caméra descend verticalement sur le toit de l’autobus. Le rectangle blanc s’agrandit, occupe toute l’image. Au moment où elle doit s’écraser sur le véhicule, brusque arrêt de la musique. 

Intérieur de l’autobus. Pas beaucoup de monde, deux hommes sont assis dans le sens de la marche côte à côte dans le carré qui se trouve au fond. Je suis l’un d’eux, assis au bord de la fenêtre, je regarde passivement dehors. Il est assis à ma droite, il regarde devant, il ne transpire aucune expression.

Voix off, la mienne :
Nous aurions pu voler au-dessus de l’océan. Nous nous trouverions au-dessus d’une mer de nuages, suspendus entre deux mondes.
(Premières mesures d’un morceau lent de jazz orchestral).
Je regarderais dehors par le hublot, il regarderait devant lui.
(La caméra se rapproche des deux hommes, gros plan visages et bustes).
Il pleuvrait dehors. Il pleuvrait partout sauf dans l’autobus.

Intérieur de l’autobus. La caméra filme ce qu’il voit, il regarde devant lui. Au centre de l’écran, le rectangle du pare-brise affiche une image de la rue sous la pluie, des lumières de couleurs s’enfuient sur les côtés, un feu rouge suspendu en haut de l’image balayée par les bras des essuie-glaces. L’autobus s’arrête. Un passager debout est emporté par le freinage et se rétablit en empoignant une poignet fixée le long du dossier d’un siège vide.

Voix off, la mienne :
Il pleuvrait sur ses pensées. Un temps impalpable que l’eau ferait ruisseler sur ses pensées. Et l’autobus qui nous emmènerait vers un paysage toujours identique d’une ville sous la pluie. D’un arrêt à l’autre, d’un arrêt au même arrêt avec les mêmes inconnus qui monteraient et qui descendraient. Indéfiniment.

La rue depuis la vitre latérale de l’autobus. La caméra filme ce que je vois. Un côté de rue qui s’enfuit à gauche derrière moi alors que l’autobus avance. Une file de voitures roulant au pas en sens inverse, un cycliste encapuchonné remonte les voitures en zigzaguant. Ballet de parapluies.

Voix off, la sienne :
Suis-moi.
(Temps)
On descend là.

Travelling, la caméra le suit comme si c’était mes yeux. Filmé de dos, il sort de l’autobus puis emboite le pas d’inconnus qui marchent sur le trottoir d’un pas rapide. L’averse redouble d’intensité.

Voix off, la mienne :
Il fallait toujours qu’il m’emmène dans un bar quand il avait quelque chose à me dire. Je n’ai jamais su si c’était l’ambiance qui s’en dégageait ou à cause des cafés qu’il engloutissait et qu’il me forçait à boire. Il aurait dû m’expliquer ça un jour.

Musique, impro de Jaco Pastorius sur un thème de Wayne Shorter.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

4 commentaires à propos de “#anthologie #35 | l’autobus”

  1. Avec la musique, l’espace s’agrandit! La deuxième voix off « il pleuvrait sur ses pensées.. » propose une boucle qui m’interpelle beaucoup, dont la réalisation serait très cinématographique. Sinon le texte oui, bien sûr, fonctionne parfaitement, comme on dit. Merci!

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