Des alarmes, des sirènes, des images en boucle. Un génocide en direct, la main sur les yeux pour ne pas voir, les doigts écartés scrutant l’horreur. De ma table de cuisine, j’aperçois la terrasse d’une voisine. Je la connais de vue depuis 20 ans. Nos enfants sont allés à la même école. Nous ne nous parlons pas, je ne fais pas partie de son association boboesque. Un génocide en quasi direct sur les réseaux. La voisine ouvre ses volets métalliques. Je me sers une tasse de thé à la bergamote, j’étale consciencieusement le beurre demi-sel sur la tartine. Des nuages blancs aux formes changeantes progressent lentement sur un fond bleu. Les bombes pleuvent sur une ville. Hurlements. Des ruines fumantes à perte de vue. Des gens en pleurs. De la rue, j’entends le camion des éboueurs, les bennes à ordures roulent sur le trottoir, les couvercles de plastique coloré claquent en se refermant, le camion s’éloigne. Des bombes tombent sur les écoles, les hôpitaux, aucun immeuble intact. La voisine a laissé sa fenêtre ouverte. Je vais à la boulangerie, je passe devant le café du coin ouvert de 7 h à minuit, on y parle foot, fête de la ville, cérémonie des Jeux olympiques… Des manifestations toutes les semaines, pas un pays où il n’y a pas eu de tollé. Une autre voisine arrose ses jardinières de géraniums écarlates. Elle a les cheveux retenus en queue de cheval, elle porte un short de coton et un T-shirt informe réservé à la maison. Des hommes cherchent des survivants, des femmes pleurent, elles implorent l’aide de la caméra, un enfant à l’air hagard passe à l’arrière-plan, il est seul. Un avion plein de vacanciers laisse une traînée de condensation sur le fond bleu. La voisine étend son linge sur la terrasse. Des échos d’innocence s’échappent de l’école maternelle non loin. Un bruit d’aspirateur quelque part. L’anodin, le superficiel pour continuer à vivre. J’attrape un stylo et j’écris « Quelle innocence pour les enfants de ce pays en guerre ? » Des alarmes, des sirènes, des images en boucle… La voisine ferme sa fenêtre.