#été2024 #34 | La route de Castelfidardo, le restaurant

Le cuisinier faisait le service.  Il portait un tablier blanc. Il nous salua d’un bonjour laconique et sobre. Il était affairé. Il me paraissait très grand, une quarantaine d’années. Il nous installa dans l’arrière salle. Nous étions seuls tous les trois. C’est la première fois que j’entrais dans un restaurant. La nappe à carreaux rouges et blancs était la seule qu’il avait dressée. Les autres étaient encombrées d’ustensiles et de cagettes. 

Il nous demanda ce que nous voulions boire. 

De l’eau, deux verres de vin et une orangeade pour la petite. 

Et pour le déjeuner ? 

C’est une assiette de pâtes. A la sauce tomate.

Il avait déjà disparu. 

Un endroit bien tranquille. 

On a encore deux heures de route. 

Il ne fait pas trop chaud, ça ira. 

Je ne disais rien, j’observais les allées et venues du cuisinier serveur, qui, lui aussi, ne disait rien. 

D’autres clients s’installèrent dans la salle devant. On entendait leurs voix. 

Je jouais avec les couverts en inox ordinaires. J’écoutais mon père et mon oncle sans participer à la conversation. 

On a été vite servis. 

On avait pris qu’une assiette de pâtes parce qu’on ne voulait pas trop dépenser. Je crois aussi que c’était tout ce qu’il y avait au menu. Je me souviens qu’on avait pas eu le choix du plat. 

Une belle assiette creuse, bien pleine, et la sauce sentait bon. 

Mets un peu de parmesan. Il était sec et piquant. C’était bon parce que j’avais faim. Mon père et mon oncle mangeaient lentement car ils parlaient sans cesse. J’avalais tout tant que c’était bien chaud. 

Mon oncle racontait que petit garçon il allait se baigner dans l’Alterno, l’après-midi, après l’école. L’eau était fraîche, la rive était foisonnante, c’était la liberté. Un jour, un camarade s’est noyé, adolescent, presque enfant encore. Il a cessé de courir dans l’herbe pour se jeter dans le fleuve et en ressortir haletant parce qu’il avait trop ri. 

Mon père pestait contre le garagiste qui avait contrôlé la voiture de mon oncle, il se souvient que c’était une Fiat, la 127 peut-être, pas la Volkswagen encore. C’était la pompe à essence qui ne fonctionnait pas. Mon père ne conduisait pas. La voiture ne dépassait pas les 60 km à l’heure sur l’autoroute. C’est presque comme une cave. Des spaghettis avec de la sauce tomate. Il se rappelle qu’on était partis le matin vers huit heures. On aurait déjà dû être arrivés. A cause de la pompe à essence, on n’avançait pas. La fabrique était déjà fermée, il était treize heures passées. Il fallait attendre la réouverture. On a dû s’arrêter pour manger un peu. Le ressort était cassé, la pompe ne fonctionnait plus. 

Moi j’avais rêvé dans la voiture pendant tout le trajet. Je faisais dérouler des films dans ma tête, des films que j’inventais avec les dialogues, les personnages et souvent des silences, toujours en noir et blanc. 

Le cuisinier passa devant nous avec un grand saladier rempli d’une très belle salade verte. 

On n’avait pas besoin de commander du café. Ma mère en avait préparé dans un thermos, il était encore tiède. A mon âge, je n’en buvais pas encore. La seule fois que j’en avais bu, c’était un soir chez des cousins, il était tellement fort que je n’en avais pas dormi de la nuit. J’avais eu peur dans le noir et je n’avais pas osé bouger jusqu’au matin. Je ne voulais réveiller mes sœurs. Le chant du coq de la ferme d’à côté m’avait saisie d’effroi. Je gardais ça pour moi. 

Le cuisinier vint présenter l’addition. Mon oncle lui dit qu’il avait cru qu’on nous aurait servi une belle salade. Le cuisinier ne répondit pas. Mon père sortit son portefeuille et paya. On va boire le café dans la voiture. 

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