#anthologie #33 | monde gronde claque explose.

Instants blancs de bombes instants de nuit blanche trop de bombes jetées. Nuit de trous reliefs d’autres couleurs éclairs acier. Ciel envahi ciel comme mer feu et cendre. Averses de bruits d’étoiles foudre sèche. La voiture tangue lâche penche la terre comme mer et furie. Terre molle étouffée. De quoi j’ai peur bombes mort bruit des reproches de ma mère peur de la nuit de seule traverser les villages de nuit peur de ma mère ses questions. Bruits de près, tout contre, partout ça siffle s’abat arrache. Bombes autour en face derrière sur le toit, voiture comme ouverte et corps assiégé. Carcasse. Monde tremble s’effondre, sol décombres. Je brave le couvre-feu rues vides, sirène patrouilles au loin. Fracas de l’air ciel terre bombes sans fin. Silence pendu sans souffle mon corps trous d’heures lourdes contours effacés. Peur des longues rues vides de traverser les bombes. J’ai peur qu’on le sache comment justifier sur les routes interdites et dire parcourir villes et villages pour le voir lui, comment expliquer et banaliser ne pas faire peur à mes parents capable comme ça pour un soir de sortir risquer ma vie pour une soirée. Ciel en griffes soleil et lune embrasés et bombes fumées éclairs. Monde secousses et coups répétés, chemins de gravats sans repère. Le ciel crache tombe éclate. Bombes. Bruits par séries, tirs de lumière feu et rues creuses. Chutes de bruit de lumière d’odeurs. L’air carbonisé bat visible. Chute. Ma mère à la porte ma mère au balcon ma mère qui attend que je ne peux appeler je n’ai pas peur de maman comme du bras droit de mon frère car je redoute sa violence à lui quand nous nous battons je n’ai pas cette peur de maman elle ne frappe pas j’ai peur de la décevoir je sais la puissance des mères. Pilonnage de murs toits routes, vie se referme, où se cacher. Bombes ou orage que ces obus et les éclairs sur le monde. Formes se brisent ça siffle explose puis silence de surface. Je survivrai. Longtemps les traces dévastent l’horizon. Kilomètres de volant en roue libre que ça roule m’emporte plus vite que destin ma voiture piètre refuge de plastique. Le fer est dehors au-dessus autour. J’ai peur de ne pas contrôler que trop de vitesse me tue avant les bombes peur d’aller plus vite que les obus ou que la mort va plus vite que le meurtre parce que la guerre meurtre aveugle je le sais et j’ai peur d’être vue par le hasard, il tombe sans raison et comment anticiper le hasard échapper à sa frappe et craindre que ce soit mon jour n’importe quel jour est un jour possible mais je ne veux pas mourir sur la route pas entre nos deux maisons pas dans la fuite pas dans le mensonge dévoilé pas sans mon secret. Pas de combats de rue pas de milices pas de balles pas d’humains visibles, ça se joue de loin éclate tout près ça surgit explose incendie. Pas de tirs pas de grenades les bruits tombent comme de plus haut encore, pierres de toujours plus haut. Voiture plus solide que draps mais je roule sans la sérénité éprouvée petite sous les draps, à me cacher dans la transparence du coton. Ce soir la ferraille effrayée sursaute grince et proteste elle ne va pas droit, je compte sur mes mains pour me ramener chez moi mes doigts raidis. La démesure. Bombes et menaces audibles visibles, phrasés sans langage. Je connais, j’ai regardé la télé mais ce soir aux prises de l’informe. Paradoxe du commun grotesque sans présence humaine, réel de guerre illusion fabriquée. Il a insisté reste c’est folie de quitter maintenant mais rester rester et que dire et comment laisser mes parents sans nouvelles chaque silence provoque la peur du définitif. Bombes et flambées rafales de loin parfois. Tonnerre précipité bangs déflagration. Le ciel par petits morceaux débris de vie en feu. Monde gronde claque explose. Et le trouble toujours ne pas discerner penser orage par exemple ces obus que j’entends leur frappe, mais le regard de ma mère pli de ses lèvres, peur de son dos tourné de sa retenue et ses larmes. Ciel traînées et ombres. De faux nuages sans mouvement, le plomb pèse immobilise. Pays désordre chaos. Monde de monstres aux visages enterrés. Nuit pénombre éclats braises. Lumière rouge de vacarme chaos et soufre. Je monte la musique les Doors je ris quelles portes s’ouvriront ma descente folle je monte le son et les Doors rythment les bombes sans me dire à quelle distance elles explosent je chante pour n’entendre que ma voix que ma voix me protège compter sur ce miracle-là puissance d’une voix qui chante faux faux à briser le ciel et détourner ses obus.

A propos de Gracia Bejjani

Gracia Bejjani est née à Beyrouth. Elle a quitté son pays à vingt ans, elle a fugué, n’a jamais quitté. Elle dit : « J’écris, je filme, photographie. J’écris ». Elle est auteur du recueil J’ai appris à parler sur tes lèvres (La Kainfristanaise). Ses textes sont publiés par de nombreuses revues comme la NRF Gallimard, l’anthologie 2024 du Printemps des poètes (Castor Astral), Décharge, Wam, Lettres d’hivernage, Radicale… et en ligne par le Courrier International, Plume Francophone, Hors-Sol, Poema… Elle a été programmée au Festival Extra Litteratube à Beaubourg, à la Maison de la Poésie de Paris et au Festival international de Poésie de Roulers (Belgique). Elle tient également une chronique dans la rubrique « culture » d’Ici Beyrouth. Sa chaîne YouTube, régulièrement alimentée par de nouvelles créations, regroupe à ce jour près de sept cents vidéos-poèmes. – Site : https://graciabejjani.fr/ – Chaîne : https://www.youtube.com/c/graciabejjani

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