#anthologie #34 | taisez-vous !

taisez-vous !

Personne ne se tait, ça continue, ça gueule

Tu commences à me faire chier.

Ah oui, je te fais chier et tu crois que toi tu me fais pas chier

Le ring est en place, les spectateurs aussi. Personne ne voit l’écureuil dehors. Les discussions ont cessé, les sourires aussi. Les gros mots ne font que commencer, les jurons, nom de Dieu de nom de Dieu, peu importent les enfants qui ont compris aussi qu’il fallait se taire. Le soleil couchant entre dans le salon. La lumière est belle, de cette lumière qui fait acheter une maison parce qu’on l’a visitée à cette heure là et qu’à l’époque on était bien ensemble. Cette maison là n’a pas été achetée. C’est une maison de famille. La famille est là avec ses pièces rapportées. Personne ne moufte autour de la table.

taisez-vous!

Tu commences à me faire chier

Tu l’as déjà dit.

Je suis chez moi.

Ça je sais que tu es chez toi.

Ça peut durer longtemps. Les voix sont dures, chargées d’une colère contre qui? Les spectateurs sont immobilisés. Les mêmes qui souriaient ou se moquaient tout à l’heure de la montée en tension, se taisent. Dans les têtes, ça tourne. Il y a celles et ceux qui veulent partir, celles et ceux qui picorent dans leur assiette, un faux air de rien, celles et ceux qui ont peur, d’une peur qui vient de l’enfance, celles et ceux qui se préparent à intervenir mais qui ne le font pas.

Tu tournes vraiment pas rond, tu vas t’y retrouver seul chez toi, personne ne viendra te voir.

Je m’en fous, je vais foutre le feu.

Ben voyons. Tu crois que tu me fais peur.

Les mots on s’en moque un peu. Ils font tous l’affaire du moment qu’ils se jettent à la figure. Il faut trouver ceux qui font mal. Ou plutôt comme le boxeur, chercher là où ça fait mal. Et appuyer. Peu importe comment jab, uppercut, crochet, direct et pilonner, ne pas s’arrêter. Même avec des petits mots de piments doux, des questions qui n’en sont pas, des allusions.

Moi aussi je pourrais en dire

Ben vas-y, parle si t’as tant de choses à dire.

Les spectateurs n’existent plus. On est au-delà du spectacle, revenu aux origines de la déchirure. Les coeurs battent dans tous les corps, personnes n’est indifférent, concentré à faire semblant de quoi?

taisez-vous!

Une petite se met à pleurer. Sa mère la prend dans les bras. 

Vous voyez la scène? Les deux monologues qui s’affrontent, se nourrissent, se renforcent.

La mère protège sa fille. Elle peut parler elle. Mais taisez-vous! Personne ne l’entend depuis le dialogue. Les spectateurs ont entendu. On regarde la mère de la petite, on la trouve courageuse.

Son autre fille, la plus jeune, s’approche, elle se colle à sa mère et à sa soeur, elle ne pleure pas, elle a le visage fermé, les yeux grands ouverts, la peur. La mère en prend une dans chaque bras et sort. Dans le jardin, elle parle à son tour.

Vous savez, des fois les grandes personnes, elles se comportent comme les bébés quand ils sont en colère. Mais au lieu de pleurer et de se rouler par terre, elles crient et elles disent des gros mots.

Les deux enfants écoutent la mère. La grande ne pleure plus. Ces mots l’ont apaisée. La mère la pose au sol. Ça la soulage, elle avait mal au bras, n’en pouvait plus mais gardait sa fille contre elle. Instinct dit-on. La grande prend la petite par la main, lui dit viens. La mère ne comprend pas. Les filles entrent dans le salon. Elles entrent dans le ring et la grande crie taisez-vous, vous n’êtes pas des bébés.

Silence.

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