#anthologie #32 | La Vague

Le brouhaha devenait vacarme d’où montaient par instants quelques échos musicaux, des cuivres, des percussions, fanfare, je croyais même percevoir des trompes de chasse, j’adore ça. De ma fenêtre, je ne pouvais rien voir, ça venait de l’avenue. Descendre quatre à quatre les escaliers, marcher vite, le bar de nuit fermé, la boulangerie de « gros gégé »- acheter une grosse couronne, à 10h elles sont encore chaudes – déboucher au carrefour en pleine… Vague. La Vague, je n’avais jamais vu ça ; couvert de confettis, je me suis réfugié à la terrasse de la Brasserie Alsace-Lorraine avant d’être submergé par la foule, d’être emporté par le flot. J’ai demandé à un client – occupé à extraire les petits papiers de son café-crème ; les doigts plus efficaces que la petite cuiller -. « la Vague, les conscrits ». Des banderoles tendues au-dessus de l’avenue proclamaient : « Honneur aux classes en 6 » ; ça déferlait, char après char, portant les conscrits gesticulants, balançant une pluie de confettis et des poignées de bonbons, dans des calèches hippomobiles, colliers des chevaux à grelots argentés, dans des remorques tirées par des tracteurs customisés en bateaux, fusées. Les passagers portaient hauts-de-forme et redingotes ou bérets à pompon et marinières rayées, des cosmonautes droit sortis d’un album d’Hergé frappaient de gros bidons métalliques et des tambours lunaires. Deux personnes seules (nonagénaires ?)fermaient le défilé, saluant aux fenêtres d’un authentique sapin.

En les regardant, j’ai pensé à ma vieille bagnole. La veille, rentrant de Satolas, je l’avais garée, par un créneau difficile, sur l’avenue, en face de la Brasserie A.L. ; ce matin, aucune voiture ne restait au long du trottoir, où étaient-elles passées ? J’aborde un policier « Nous les avons fait déplacer jusqu’à la place du Foirail… Vous comprenez, la Vague ! » Je comprenais.

En revenant, j’ai reconnu ma voisine d’en face. Je ne la connais pas vraiment, mais nous nous saluons en vis-à-vis, la rue est étroite. « Vous êtes allé voir les conscrits ? – Oui, je ne connaissais pas la tradition, maintenant, il faut que j’aille chercher ma voiture place du Foirail – Dîtes, cette semaine je vous ai vu repasser vos chemises, c’est mon métier, je travaille à domicile, je fais ça bien, avec le matériel… confiez-les moi, je prends 15 francs par chemise, vous les récupérez le jour même. Songeant qu’on pouvait observer ce qui se passait chez moi, je me dis que des rideaux… et puis après tout, elle était bien jolie…

La semaine suivante, le samedi soir était plutôt calme, à part le bar de nuit qui commençait à se remplir. Vers 23h, des petits groupes ont afflué, ils se dirigeaient vers l’avenue et occupaient toute la largeur de ma rue. C’étaient des bandes de jeunes gens en tenues diverses, arborant l’écharpe blanche et bleue aux couleurs de l’Olympique de Marseille. Ils se sont mis à déplacer les containers-poubelles vers la chaussée où une voiture les poussait comme aux autos-tamponneuses. Par les fenêtres ou montés sur les capots, ils brandissaient des drapeaux et hurlaient sur l’air des lampions « ce jour sera férié ! bis, bis ». J’appris le soir même que l’équipe financée par Bernard Tapie avait gagné la coupe d’Europe.

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