#anthologie #32 | Au comice agricole

Note, les phrases en italique sont extraites de L’éducation sentimentale de Flaubert

Sa nuit a été courte. Vers onze heures, Étienne arrive au comice agricole du bourg voisin. Une tradition qui perdure dans cet espace rural, un événement traditionnel et festif pour célébrer la ruralité et, surtout, la culture tout à fait locale.

Les agriculteurs du coin sont tous là : l’un présente ses produits, l’autre ses animaux, un troisième ses innovations techniques. Tous espèrent un prix à l’un des concours du jour. Les hommes, si souvent contraints au silence sur leurs tracteurs, dans leurs étables ou les hangars qui hébergent leurs poulets, se rattrapent. Ils se tapent sur l’épaule, rejettent leur casquette en arrière. Les maigres, les pouces dans leur ceinture, les gros, sous les bretelles qui retiennent leur pantalon, ils s’interpellent, se moquent, s’esclaffent. Ils ont des voix rauques qui roulent, les anciens s’enorgueillissent de leur patois. Parmi eux quelques femmes, sans doute acceptées en qualité de chefs d’exploitation. Les femmes, on les trouve plutôt rassemblées autour des volailles. « As-tu vu mes œufs bleus ? — Des œufs bleus ! — Mais oui, monsieur, l’Auracana fait des œufs bleus, les coquilles, pas les jaunes ! Environ deux cents œufs par an, comme la Gasconne ou la Rouge des Landes. L’Auracana, c’est une espèce qui vient du … » Quant aux enfants, ils sont partout, ils piaillent et crient d’excitation, des oiseaux dans une volière.

La messe des éleveurs vient de finir. Le haut-parleur de l’organisation beugle que les officiels seront bientôt là : la Chambre d’agriculture, un député, le Conseil départemental, la Commune, la Communauté de communes, les syndicats, les sponsors… et tout ça va y aller de son petit discours de remerciement, de valorisation du monde rural, avant l’apéritif offert et le déjeuner sur réservation. Quand il eut terminé, un autre personnage se leva, puis un autre, chacun disant son mot. Au cours de son insomnie, Etienne a relu le passage de L’éducation sentimentale, qui parle d’un comice agricole. Son exemplaire l’attendait, à sa place, dans sa bibliothèque de jeune homme, la page cornée justement sur cette histoire de comice. L’agriculture est la mère nourricière des nations ! On ne peut donc jamais assez encourager, protéger, honorer ceux qui s’y consacrent avec un zèle éclairé, et c’est à de tels sentiments que répond l’institution des comices agricoles. Un discours de préfet !

Un Vulcain de démonstration tape sur son enclume. En dépit du soleil de juin, il a allumé un grand feu pour chauffer ses ferrailles. Il transpire abondamment dans un marcel sous un tablier de cuir, les mères tiennent leurs petits à l’écart des étincelles de la fournaise… C’est à peine si on perçoit le son aigrelet d’un orgue de barbarie jouant La donna è mobile. Et sur tout cela une odeur de graillon sympathique puisque c’est la nôtre, celle de chez nous. Et que le comice, c’est une fois par an.

Le public se rassemble sous la tribune. « Approchez, approchez, dépêchons, dit le maire. L’apéritif ne sera servi qu’après les prises de parole. Vous avez soif, alors ne perdons pas de temps ! »

Tel le Frédéric Moreau de Flaubert, Etienne cherche sa madame Arnoux, Rosalie, dans le public. Il l’aperçoit. Elle porte une robe de soie lilas à rayures larges, et son chapeau de paille d’Italie,… Elle est là, tout près, à quelques pas de lui, séparée seulement par cette foule de gens. Il se sent pris d’une sorte de vertige, une envie de la rejoindre, de lui parler.

Debout elle écoute, ou elle n’écoute pas, comme les autres, comme lui.

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