#anthologie#31 – le monologue du four

…les gens pensent que ça vous prend au nez et que ça vous fait hésiter. Les gens qui n’ont jamais fait ça pensent que l’on n’hésite toujours avant de le faire. Les gens se trompent. J’ai hésité toute ma vie – mais est-ce qu’une vie passée à hésiter est une vie – Ma vie en point de jonction, à chaque nœud une décision, une autre branche à laquelle s’accrocher, une autre galerie à creuser. Mais celles que vous ne prenez pas s’effondrent derrière vous et il est impossible de les emprunter à nouveau. Un chemin non pris est un chemin qui disparait. Mettons que l’herbe y a poussé et vous ne reconnaissez plus rien, impossible de retourner en arrière, alors il faut juste continuer à avancer. Hésiter est un art, et comme tout le reste, je l’ai fait vraiment très bien …ça me reprend, enfin pas vraiment le doute mais le regret – quoi que les deux s’enfilent dans la même manche d’une veste trop serrée, portée trop longtemps – Je disais l’odeur et voilà que je parle de manches. Je suis à côté, je suis toujours à côté. Ted aurait dit que ça me reprend que j’ai mes humeurs et que je suis à côté de ma tête. Ted a toujours su. Si on ne me tient pas en laisse, ça part dans tous les sens.

D’abord il y a l’odeur du café. Je l’ai fait bruler un peu quelques minutes avant. Puis l’odeur des enfants. Celle là aurait pu me retenir, mais j’ai fait en sorte de ne pas rentrer, de ne pas la sentir. Nicholas a toujours dans le cou cette petite odeur de brioche sucrée, sentir ça et aller se tuer, ça n’est pas sérieux. J’ai toujours été plutôt d’un genre sérieux alors je n’y suis pas allé, dans leur petite chambre volet fermée, avec leur petite respiration presque empêchée, quand il se tordent dans leurs petits draps, quand ils ne savent pas que je suis là.

Faire des enfants c’était comme le reste, c ‘était prendre un chemin et vouloir faire demi-tour dans le vide. C’est continuer encore, mais avec deux petites ombres derrière vos pas.

Le petit ventre de Frieda qui se gonfle, elle bloque sa respiration et met la tête sous l’eau. Elle flotte dessous là, elle ne pèse plus rien, ni pour moi, ni pour elle.

Les chemins s’effacent, pas les enfants.

Les années comme la mousse, celle qui s’agglutine derrière les bateaux, le bateau en lui-même n’est plus là, mais il y a comme sa trace par là et avant que la mousse disparaisse, on pourrait presque suivre la courbe et dire, celui-ci venait de par là- bas.

J’ai suivi la trace de mes pieds dans la poussière du parquet. Le même chemin trois fois, dix fois, mille fois par jours de la cuisine à la chambre. La trace de mes pieds dans le froid. Il fait tellement froid.

La petite buée au-dessus d’eux quand ils dorment dans le froid. Le froid fait des traces dans la peau, il a fait des traces dans ma tête, comme de grosses crevasses que je n’ai plus su enjamber pour revenir.

J’ai suivi la trace des pas, j’ai suivi les crevasses, jusqu’à la petite fenêtre noire, ouvrant sur rien. J’ai plongé dans le grand trou noir et incertain, je n’en suis plus ressortie. Les gens ont dit que c’est l’odeur qui les as alerté …

A propos de Line

De métier éducatrice auprès d'adolescents en difficulté. Depuis un an animatrice en atelier d'écriture ( DU animateur en atelier d'écriture Université AIx-Marseille 2019-2020) et porosité entre ces deux espaces là qui se mélangent quelque fois, parfois plus que je ne le crois.

Un commentaire à propos de “#anthologie#31 – le monologue du four”

  1. Hey Line ! Je retrouve le four la femme ce fait divers qui t’avait interpellée et qui je ressurgis là. Les trois points au début tu les abandonnes jusqu’à ceux de la fin. Et s’il revenait au début des paragraphes ? C’est juste que je me suis posé la question.

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