#anthologie#12/13 3 fois une ville

Budapest, un peu

Capitale voisine et pourtant lointaine, reliée à Vienne par le Danube et l’Histoire. Cette Histoire-là, c’est bien du passé, les Hongrois n’en parlent plus, la renient. Elle marque pourtant encore le paysage. Mais la Hongrie a changé de vie. J’ai connu Budapest bien après les évènements de 1956, mais bien avant la chute du mur. Il fallait passer par le no man’s land à la frontière, une étendue déserte retranchée par des miradors et des barbelés. L’Europe s’arrêtait là. La Hongrie appartenait au Bloc de l’Est. Vue de Vienne, notre visite semblait hasardeuse. Mise en garde.

Mais Budapest nous accueille simplement. Le Danube majestueux qui partage la ville, les palais qui longent le fleuve, les ponts qui relient les quartiers, le château sur la colline, les rues pavés, les jardins cachés, les cours médiévales. Levers de soleil, couchers de soleil, le panorama est sublime. En bas de la colline, les boulevards pleins de monde. Encore peu de voitures. Même en ville, des charrettes tirées par des chevaux fringants à la silhouette élégante. En longeant les rues, je remarque les traces de balles dans les façades des maisons, j’imagine la frayeur des habitants alors, et la ruée par-delà la frontière lors du soulèvement il y a vingt ans tout juste.

Mon compagnon, visiteur touristique atypique, toujours pressé de voir plus loin, me pousse vers un restaurant, « étterem » dans le dictionnaire. Après un essai décevant dans ce restaurant classique, au menu européen, nous cherchons plus authentique. C’est midi, un flot d’employés et d’ouvriers s’engouffre dans la rue, nous suivons à tout hasard et nous terminons dans une cantine tout à fait authentique, hongroise. Aucun problème pour être accepté, on y parle même un peu le français. Repas succulent, simple, aux accents culinaires qui rappellent un peu Vienne, surtout quand je déguste les pâtisseries maison. Les boutiques n’ont pas l’opulence des pays de l’ouest, mais les vitrines décorées de chemisiers blanches en dentelles et de petites robes brodées de fleurs colorées incitent à acheter ce qu’on appelle des souvenirs. Des bouteilles de vin également, une bouteille de Tokaj, que je ramenai à mon père et qui fut sublime. Des épices, piments, paprika pour relever le goulyas et d’autres ragoûts. Je n’ai pas visité les thermes, je n’ai pas visité les monuments, je n’ai pas fait un tour en bateau, je n’ai pas promené sur les quais. J’ai gouté l’atmosphère, la gentillesse des gens – le dentiste qui a soigné d’urgence mon mari, nous a parlé de Paris, des larmes dans les yeux, nous a montré un programme de visite avec une rose séchée entre les pages, une rose du jardin de Marie Curie, son idole, nous a parlé de sa visite de la Tour Eiffel, jusqu’au premier étage seulement, pas assez d’argent pour monter jusqu’à la cime, et des adieux entre presque amis – et on a couru ailleurs. Pourquoi ai-je choisi de vous raconter Budapest, alors que mes souvenirs me confirment que je n’ai pas vu ce que j’aurais aimé voir ? Pourquoi me triturer les méninges pour vous raconter « Budapest et moi » ? Mais parce que j’ai aimé cette ville, et que je viens de me rendre compte que rien n’est perdu !

Kössönöm, Budapest, merci pour le souvenir, il me reste à revenir, seule, à mon rythme, pour te redécouvrir avec toutes tes merveilles…

Chinghetti pour l’éternité

L’avion plane, survole l’aéroport, à l’heure pour se poser. Midi. Atar. Chaleur, poussière, bruit, foule, bagages, papiers/paperasse, fatigue. Faire la queue, patienter, récupérer les bagages, ne pas perdre le groupe, surtout le guide, grand, tranquille, imposant, il calme les énervés, rassure les timides, ranime les fatigués. A la sortie, les voitures nous attendent, des 4×4 pour résister aux routes du désert. Direction Chinghetti. A travers une chaîne de montagnes basses, noires ou rouges qui s’étirent à l’infini. Soirée dans un village de tentes à Chinghetti. Matelas par terre. La nuit tombe, doucement, la lune s’est levée, ronde, pleine, géante dans le ciel clair. Silence dans le désert…Tôt le matin, départ à pied avec sac à dos, pour visiter Chinghetti , la mosquée à minaret carré, les rues pleines de sables, les murs en pierres qui s’écroulent ça et là, les magasins de la rue principale aux titres accrocheurs,  » coca plus froid que froid « ,  » moins chers que gratuits « …

La bibliothèque de Chinghetti nous attend. Célèbre dans le monde entier, maintes fois vue à a télé, la réalité est plus émouvante. Passer par une porte voûtée étroite. Descendre quelques marches très hautes pour arriver dans une petite cour intérieure entourée de quatre murs en terre ocrée. Un très vieux monsieur en djellaba nous attend et nous raconte dans un français soigné l’histoire de ces richesses. Deux petites pièces remplies de livres et de dossiers. Dans une troisième, la plus précieuse, des manuscrits vieux de plusieurs siècles. Interdiction de toucher et d’utiliser un flash. Des écritures fines, élégantes, calligraphies faites avec des encres de quatre couleurs naturelles, indigo, oxyde de fer, oxyde de manganèse…des dessins travaillés sur les initiales. Le guide traduit en chantant un poème en arabe, un conte d’une bergère épousant un roi et désespérant dans sa cage dorée…Je sors, étourdie par le soleil et par l’émotion, un moment magique…Dehors le petit marché s’est installé dans les sables, des tables de joueurs d’échecs, des étals de vendeurs de chèches, de foulards, de dattes, de bijoux, de petits objets de musique qu’ils appellent ukulélé…Le vent se lève, le sable m’étouffe à la croisée des ruelles…la ville est gagnée par les avancées de sables, enserrée, emmitouflée, mise en danger par le vent et le sable, par les dunes qui marchent, par les tempêtes de sable, déplacée déjà et rebâtie en partie, fuyant devant les forces de la nature, menacée d’ensevelissement pour l’éternité…

Paris toujours

Paris, Paris, Paris. Paris 3x. Trois fois Paris et bien plus par la suite. Paris rêvée, pour son renom, pour sa culture, pour la langue française à pratiquer d’urgence. Paris centre du monde. Paris ville des lumières. Paris lointaine et désirée. Paris enfin à portée de rail. L’agitation de la gare de l’Est, la traversée des longs couloirs de métro, à Châtelet surtout, croisée des chemins et nœud des itinéraires, quand le tapis roulant n’existait pas encore, quand les valises à traîner n’avaient pas encore des roulettes. La recherche de l’Alliance française Boulevard Raspail pour m’inscrire, une adresse Porte d’Orléans pour trouver du travail, Une auberge de Jeunesse à Boulogne-Billancourt, loin dans l’ouest de Paris. Terminus d’un métro traversant la ville. Au gré des contacts et des informations éphémères, trois étés de découvertes et d’émerveillements. Trois étés de vaches maigres aussi. Le cliché de la baguette et de la boîte de camembert qui remplit pourtant bien le ventre. Une menthe à l’eau parfois, sur une terrasse ensoleillée. Paris au mois d’août. Les Parisiens en vacances.  Les touristes partout. Des visites. Des noms célèbres. Le Louvre, Notre Dame, le Sacré-Cœur et Montmartre, la place du Tertre et un portrait vite fait par un peintre accrocheur. Les champs Élysées, la Seine, les bouquinistes pour fouiller dans des livres à ma guise, les berges de la Seine et sur les bancs les amoureux de Brassens et de Peynet. La parfaite touriste, en admiration d’une ville tant attendue. Liberté. Respiration. Des connaissances. Des amis. Puis un sourire. Une approche. Des goûts en commun. Des sorties à deux. J’ai un guide. Paris est à nous. Paris et la nuit. Les balades au milieu de la rue, main dans la main, sans regret, sans souci. Les tentations culinaires, nouveaux goûts pas toujours appréciés, les huîtres chez un écailler célèbre, les escargots après la soupe à l’oignon aux Halles d’autrefois, les spaghettis au bistrot italien aux sons de  « la mamma » d’Aznavour, l’initiation au flipper avec  « l’amourette » de Leny Escudero, que de belles chansons d’amour, tristes et mélodieuses, Edith Piaf, Alain Barrière et tant d’autres que j’ai connus cette année-là, année charnière pour une nouvelle vie.

Mais Paris n’est pas finie pour moi. Encore quelques échanges gare de l’Est, plus tard d’autres gares, gare d’Austerlitz, gare de Lyon, gare de Bercy. Des attentes, des émotions, des joies. D’autres traversées. D’autres découvertes. D’autres quartiers. Montparnasse, des réunions dans la tour infernale, et les cinémas autour, une débauche de cinémas pour qui vient de la campagne. Les bistrots pleins de charme dans le Marais et une pâtisserie hongroise rue Saint Paul où on pouvait acheter du pavot pour les gâteaux. Place de la Nation avec un écart pour la visite du Père Lachaise et ses célébrités. Le quartier Latin et ses grandes librairies, le Panthéon, la Sorbonne, des noms qui marquent l’Histoire. Les parcs civilisés à la française, les musées, les expositions gratuites à l’Hôtel de ville. Les œnothèques avec des connaisseurs. Beaubourg, moderne, riche en expositions mémorables, lieu de passage à chaque voyage.

Je n’ai jamais habité à Paris, nous sommes partis très vite dans le Sud. J’ai regretté la ville, je ne la retrouvais pas souvent. A certains moments, j’avais des points de chute, des nids pour quelques jours, quelques nuits, dans des quartiers à découvrir. Ma fille qui me logeait à Pelleport. Mon fils qui m’invitait du côté Nation. Une amie qui me prêtait son appartement en face de Jussieu, tout près des quais de la Seine et de l’Institut du monde arabe organisant alors une exposition sur la peinture de Delacroix. Je suis de loin les évènements, les manifestations, j’ai mes préférences, je traverse la ville en pensées, je la redécouvre avec mes souvenirs et avec les souvenirs des autres, je ne l’ai jamais vraiment quittée. Elle s’est agrandie, modernisée, gigantisée, déshumanisée, il reste le cœur et l’esprit, les palais et les rues, il me reste une évocation de parenté avec ma ville natale, ces deux villes chères à mon cœur…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

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